Pour l'ambitieux projet
The Noise & the City, le netlabel Autres Directions in Music a connecté une trentaine d'artistes électroniques de tous pays. Le cahier des charges leur imposait d'enregistrer des bruits urbains, et de composer à partir d'eux, la pièce musicale produite devant rappeler la discographie de son auteur. Chaque artiste a ensuite complété son oeuvre d'une photographie et d'un texte. Au final, c'est tout un package MP3 + livret + pochettes + "soundmap" qui nous est offert en
téléchargement gratuit, concurrençant sans difficultés les produits commerciaux des labels références.
Pour une fois, l'expression de "voyage immobile" sera légitime, sans qu'il s'agisse forcément de repérer dans ces plages des indices référant à telle ou telle capitale (carte que
Scanner & Tonne avec leur
Sound Polaroïds). Le tracklisting propose en effet un itinéraire qui part de France pour mieux y revenir après avoir traversé l'Estonie, le Pérou ou encore l'Illinois. La critique aime à s'imaginer que l'espace géographique d’un artiste détermine son oeuvre ; ici, les contraintes sont aussi une façon d'expliciter ce lien, en l’amenant à une confrontation directe avec son espace.
Les paysages sonores sont variés, se fixant dans autant de formes que les compositeurs ont de démarches et de sensibilités distinctes, de l'ambient climatique au post-indus/noise. La volonté la plus commune est de capter l'essence du lieu choisi ;
Depth Affect,
Propergol y Colargol (tous deux remarquant dans leurs commentaires l'influence de l'architecture de reconstruction),
Random Number et
Galaktan (entre autres), s'y attellent et produisent ainsi de très beaux titres, plutôt tempérés, voire (paradoxalement) bucoliques.
D'autres, comme
Diego Morales ou
Christian Galaretta, s'attachent au pur contrôle du bruit, thématique centrale de ce qu'on nomme de façon éloquente la "noise music". Le bruit y est conçu comme matériau brut soumis à la transformation par l'homme, matériau de travail, de culture. Ce qui est à l'origine son parasite, aléatoire, "pollution" est organisé, intégré, maîtrisé pour devenir musique. L'artiste est alors un médiateur qui a par son recyclage une pratique "écologique" de la création. Ironiquement, des bribes de musiques font parfois irruption dans cette musique des bruits, impromptues, intruses, chez
aMute,
Aquaboogie et
Teamforest, comme pour signaler l'artificialité de cette frontière bruit/musique.
Sur le second disque, on relèvera encore le travail de
E*rock, partition pour bruitages qui ramène à la
City Life de
Steve Reich, et l'ambient cyclique de
Pan American (dont le dernier album chez Kranky s'intitule d'ailleurs...
Quiet City), qu'il se refuse à commenter ("I don't think any text is really necessary" - il est le seul à esquiver ce point).
En présentant autant de démarches,
The Noise & the City invite le promeneur citadin à envisager sous un nouvel angle la ville, ses flux, son activité, et les sons qui l'y entourent quotidiennement, pour les reconsidérer en terme de textures. L'oreille apprivoise alors jusqu'à ses aspects les plus rudement concrets pour en retirer une certaine sensualité... Il y a d'ailleurs, à travers la trentaine de titres hétérogènes de la compilation une sorte d'acoustique commune, un souffle diffus, un quelque chose d'aéré qui les renforce, comme un signe de vie et d'humanité hors des studios autistes.
Le projet d'Autres Directions in Music est devenu une compilation haut de gamme : les morceaux sont sans prétentions intellectuelles farfelues mais suffisamment riches en sens pour que l'auditeur curieux trouve de quoi méditer ; et dans le même temps suffisamment accessibles pour que l'amateur d'electronica trouve de quoi s'émouvoir. Incontournable.
Chroniqué par
Guillaume
le 19/02/2005