N'y a t-il pas expérience sonore plus immersive que celle de se laisser embarquer par un flot d'éléments que l'on devine vaguement à sa simple écoute ? C'est ainsi le propre du field recordings que de nous faire entendre notre monde différemment et de créer ce genre d'expérience via la captation de sons environnants parfois indistincts pouvant provenir d'espaces naturels comme de lieux urbains. En plaçant des micros de contact sur des lignes téléphoniques abandonnées afin de capter les résonances de plusieurs kilomètres de câbles métalliques perturbés par les oiseaux et le vent, l'australien Alan Lamb semble par ses enregistrements fastidieux vouloir justement faire le lien entre ces deux mondes forcément amenés à se rencontrer via l'urbanisation.
Loin du minimalisme d'Ellen Fullman produit par son "long string instrument", loin aussi de certaines installations de Céleste Boursier-Mougenot, la musique d'Alan Lamb dévoile de longues pièces sonores basculant clairement du côté obscur de la force, celui du drone et tout l'imaginaire post-apocalyptique qui peut en découler. Night Passage pourrait alors être l'enregistrement des derniers échos d'un monde dévasté, vidé de toute présence humaine puis réinvesti par une nature restée imperméable à celle-ci. Dans ses fracas les plus métalliques, Night Passage évoque parfois ce qu'un groupe américain comme Barn Owl composera plus tard, notamment sur l'excellent The Headlands avec The Infinite Strings Ensemble.
Pièce maîtresse du genre initialement sortie en 1998 et couvrant une période de captations sonores qui s'était alors étalée sur près de quinze ans (1983-1997), Night Passage fait aujourd'hui l'objet d'une réédition et d'une remastérisation via le label Room40 de Lawrence English, autre grand nom australien du drone-ambient de ces dernières années partageant avec Alan Lamb une filiation plus qu'évidente.
Chroniqué par
Romain
le 03/11/2024