Dirigé depuis Nantes par Julien Héraud, à la tête du webzine Improv Sphere et fidèle collaborateur de dMute, le label Crisis propose de déambuler à travers les multiples spectres de la musique électro-acoustique contemporaine et plus particulièrement de la noise music. Après le duo nantais Täser et une édition cassette du groupe de harsh noise Vomir, Crisis publie le LP du jeune compositeur Marcus Rubio, un électron libre difficile à réduire au seul contexte de la musique bruitiste. Et pourtant, c'est bien de bruit dont il s'agit avec Um, un recueil de 10 piécettes, allant de 50 secondes à 10 minutes, et se composant de samples et de field recordings, voire de signaux ou de sons acoustiques retraités à l'extrême. Entre les inventions mécaniques de l'improvisation libre et la torture électroacoustique, la musique impressionniste de Rubio accouche de drones atones (Duh), d'harmoniques spectrales (Suck), souvent déréglées (Banjo) et de vagues de distorsion charriant gravas et autres débris non-identifiables (Brook, Dah, Tra).
Marc Rubio - Um (Crisis, 2014)
Méconnu en dehors de leur pays, Ontervjabbit est un jeune duo issu de la scène expérimentale de Hrastnik, en Slovénie. Après avoir publié plusieurs albums autoproduits, 414, leur nouvel LP, paraît sur le label slovène Kamizdat. Si l'objet réunit des compositions agglomérées par le duo depuis 2012, 414 s'avère d'une grande cohérence et semble même raffiner sa synthèse sonore, quelque part entre les litanies pour synthétiseurs analogiques, le drone, et la musique bruitiste. Les influences sont nombreuses, de Pan Sonic à Tim Hecker, en passant par les créatures du label Spectrum Spools (affilié à Editions Mego), mais parfaitement digérées. A l'image des titres Blade Runes ou Cyto Ratio, les compositions d'Ontervjabbit cherchent constamment un équilibre instable, entre construction machinique et désintégration dramatique, atmosphères célestes et lames de fond nauséeuses, ce à quoi elles parviennent souvent, au beau milieu d'un chaos instrumental haut perché ou d'embardées cinématiques.
Ontervjabbit - 414 (Kamizdat, 2013)
Après le magnifique Exposure de Damian Valles, le jeune label français VoxxoV records nous gratifie d'un nouvel album d'ambient music inattendu. Il s'agit de Nimrod, le deuxième opus de Paskine, qui entend nous plonger dans une tempête sonore où les réalités les plus contradictoires et les plus confuses s'entrechoquent. Au grès de longues dérives, les mélodies éphémères du jeune producteur semblent toujours s'enrouler sur elles-même jusqu'à disparaître dans des nuées de micro-sons ou des montées de drones épiques. Ainsi, Paskine trousse des paysages délicatement accidentés où les impressions, à peine naissantes, se brouillent dans des tourbillons tempétueux. Déjà, les compositions délivrées par Paskine n'ont plus besoin de trouver à s'affirmer. Elles apparaissent avec évidence, dans leur richesse de nuances et leurs coloris diaphanes, passant sans encombre de l'abstraction la plus extrême à un cinéma pour l'oreille des plus désertiques.
Paskine - Nimrod (VoxxoV, 2014)
Voilà un duo alien passé inaperçu sur les radars. La faute revient en partie aux intéressés, les polonais de T'ien Lai produisant en tout état de cause une bouillie sonore des plus difficilement comestibles…Il nous aura donc fallu du temps et du courage pour revenir sur l'OVNI sorti sur le label Monotype l'an passé. Da'at (c'est son nom) impose d'emblée une comparaison avec les indigérables collages d'Otomo Yoshihide sur le culte Revolutionnary Pekinese Opera Ver.1.28 (sous le pseudonyme de Ground Zero) : même montage heurté de sources sonores hétéroclytes et d'un sous-texte politique hasardeux. Les univers s'imbriquent ici selon les seules logiques de la libre association. D'une electronica bâtarde, servie à grands coup de boucles de guitare distordues, d'arpeggiator lointains et de choeurs ésotériques, on passera sans transition à des trituration de samples radiophoniques, au krautrock d'Ash Ra Temple ou à la musique new-age, dans une ambiance d'hauntologie slave au kitch assumé.
T'ien Lai - Da'at (Monotype, 2013)
Peder Mannerfelt délaisse Roll The Dice et The Subliminal Kid pour produire une techno expérimentale sur un premier album, Lines Describing Circles, paru chez Digitalis. Une école de concision pour cet originaire de Stockholm qui se livre ici à quelques expériences nourries au fonctionnalisme des musiques de club autant qu'à la musique électro-acoustique. De fait, Mannerfelt trouve rapidement une ligne de conduite imparable en construisant des grooves massifs à l'aide de basses et de distorsions aux relents industriels. Robotiques, les engins du suédois n'en sont pas moins guidés par une intuitivité de tous les instants, qu'ils ralentissent leur course jusqu'à une forme d'invagination terminale ou qu'ils s'innervent jusqu'à s'auto-détruire dans un climax bruitiste. Il y a aussi à l'oeuvre une science du découpage parfaitement éprouvée, chaque coups de beats ou de hachures électriques tombant net comme la foudre sur des machines ronronnantes, donnant cette impression de monstruosité architecturale taillée au cordeau.
Peder Mannerfelt - Lines Describing Circles (Digitalis, 2014)