Voilà seulement deux ans que nous suivons les pérégrinations musicales de
Julia Sabra mais nous pouvons sûrement affirmer que l'artiste libanaise fait montre d'une palette sonore déjà ample et éclectique. Cette dernière peut en effet passer allègrement de l'épure acoustique de la folk (son magnifique album solo
Natural History Museum) aux turbulences électriques de son projet post-rock et shoegaze
Postcards (l'excellent
Ripe chroniqué il y a quelques mois en ces pages). Et elle tente même d'accueillir des expérimentations électroniques ne caressant pas dans le sens du poil comme c'est aujourd'hui le cas avec
Snakeskin, duo formé avec le sound designer
Fadi Tabbal et reprenant d'ailleurs le nom du premier album qu'ils avaient conçu ensemble il y a trois ans.
Avec
We Live In Sand, on navigue dans les eaux troubles d'une dream pop résolument moderne et assez éloignée des ambiances éthérées des
Cocteau Twins, maîtres incontestés du genre auquel on pense toutefois sur
Blindsided, chanson angélique à la voix haut perchée et aux nappes de synthé enveloppantes. Changement d'époque et changement d'environnement oblige, les rêves de
Snakeskin sont soit malmenés par les menaces constantes d'un pays politiquement instable, soit empêchés par une certaine détresse et une vision floutée d'un avenir incertain, ce qui se manifeste pas des compositions tout en réverbérations et en digressions. La sublime
In The Pines clôturant l'album n'est d'ailleurs pas sans rappeler les errances de l'américaine
Liz Harris (
Grouper).
Le morceau d'ouverture donne directement le ton,
Ready, et nous n'étions pas prêts.
Julia Sabra traverse un nœud inextricable de glitchs sursaturés qu'elle débroussaille par sa présence puis fait doucement décoller par la beauté de sa voix, le contraste chaud/froid de l'ensemble pouvant évoquer l'univers de la géniale compositrice norvégienne
Jenny Hval. Sur le morceau suivant
October Sun, c'est
Julia Sabra elle-même qui est glitchée, ou plutôt auto-tunée, mais l'utilisation du vocoder reste subtile et pourrait sans doute convaincre les plus allergiques. Hormis quelques chansons délicieusement dream pop telles que
Blindsided ou encore cette
The Fear convoquant l'électro-pop des canadiens de
Braids, la suite de l'album semble nous faire traverser une nuit sans lune qui ne serait éclairée que par la voix gracieuse de
Julia Sabra et nous offre des ambiances mémorables qui nous imprègnent durablement sans forcément nous hanter : on se croirait parfois dans un film de
Bélà Tarr (la quasi sépulcrale
Olive Groves) ou dans la black lodge de
Twin Peaks (
We Live In Sand).
Rugueuse, sinueuse et élastique à la fois, la musique singulière de
Snakeskin s'apparente en effet très justement à la peau d'un serpent dont on ignore encore s'il est venimeux ou pas.
We Live In Sand est assurément l'un des grands albums dream pop de l'année.
Chroniqué par
Romain
le 19/10/2025