Avec son
Black Album, la figure du hip-hop mainstream
Jay-Z mettait fin à sa carrière. Le producteur
Danger Mouse, que les amateurs de hip-hop indé avaient déjà repéré chez
Lex Records, a eu l'humour et le génie de passer outre l'annonce du MC, et d'offrir une suite singulière à son dernier opus. Le concept ? Les a-capella du New-Yorkais sur des samples tout droit tirés du
White Album des
Beatles, pour une oeuvre baptisée, je vous le donne en mille...
Grey Album, diffusé en white label (droits réservés obligent). Un format de distribution underground, à diffusion limitée, qui préserve a priori des soucis juridiques. Problème : l'audacieux bootleg bénéficie rapidement d'un buzz conséquent, les p2p à oreilles se multiplient, et la major entame alors une procédure d'interdiction. Sans résultat, tandis que le subversif
Grey Album est relayé par des milliers d'internautes et quelques plates-formes spécialisées sur le web. Le white label garantissait un but non-lucratif et une certaine confidentialité, mais le format numérique permet une propagation inattendue. Les médias publient sur le sujet, plus ou moins tardivement, ajoutant l'élément d'une publicité bienvenue pour
Danger Mouse. Et accessoirement une promotion supplémentaire pour
Jay-Z, puisque les remixes du
Black Album se multiplient, le rappeur les encourageant en proposant librement les a-cappella du disque !
Le plus stimulant est évidemment de constater la pertinence musicale qu'atteint ce mariage impromptu entre les références pop et rap (un concurrent pour
The Streets en hip-pop ?). Dès
Public service anouncement, on comprend que le travail de
Danger Mouse ne sonnera pas comme un hybride bizarroïde : en vérité, cela fonctionne à merveille ! Et on se réjouit de la fière et naturelle allure de cette première ballade sur des accords tranquilles de guitare, des orgues et chœurs classieux accompagnant le tout. Même chose sur
What more can i say : le flow conventionnel mais sans défauts de
Jay-Z se place sur un beat très juste, pour un morceau relativement posé mais qui respire l'harmonie musicale, un petit classique !
Encore fonce avec plus de punch, notamment une première partie sur fond de "
Oh Yeah !" cutés bien sentis, avant qu'un changement de fond sans accrocs se produise, pour une fin dans l'allégresse. Avec les premières notes de guitare sèche de
4th december, on est immédiatement séduit, d'autant plus qu'un interlude féminin vient relayer le rappeur. Le talent de DM apparaît dans les détails, tels la basse, qui renforce sensiblement l'échafaudage, ou le beat "coutures apparentes". Le ton se radicalise avec
99 problems, les guitares, électriques cette fois, sont de sortie, et Jay ponctue les riffs tapageurs de quelques "
Hit Me !". la syncope affirmée de
Dirt your shoulder poursuit ce son plus rude, peut-être plus hip-pop. De même pour
Moment of clarity, où l'instru est à nouveau suffisamment chargée, ce qui n'empêche pas de prêter attention aux lyrics ("
This moment of honesty, nigga ya can feel my truth", confession où l'on repère une allusion au talentueux
Talib Kweli).
Dans une veine assez différente,
Change my clothes tape fort joliment ("
Sexy, sexy !", on reconnaît
Pharrell Williams dans ses oeuvres ), avec un loop très efficace (violons-clavecin). Suite de la haute voltige des samples avec
Allure, pas mauvais, même si à ce stade, il faut l'avouer, l'orgie échantillonesque lasse quelque peu.
Justify my thugs retrouve un peu l'alchimie gagnante : sons plus traditionnels (prêtez l'oreille au micro-sample d'harmonica), guitare amplifiée en guise de basse, et le ravissant refrain féminin de rigueur. Arrive
Lucifer 9 marque une rupture plutôt expérimentale. Les deux notes de basse inlassables sont le support d'une accumulation de samples dans un joyeux n'importe quoi. Une espèce d'interlude donc, au regard du format plus académique des autres tracks. Enfin,
My 1st Song clôt l'album. Ce titre pourrait paraître anecdotique rapporté à la prouesse technique des précédents, mais le rap malin, ainsi que le doux vocal bidouillé d'arrière-plan maintiennent le niveau, le final se permettant de surcroît une excentricité de rythme très sympathique.
Le
Grey album ? Roboratif comme une mixtape street gavée de samples par The Avalanches, mais une fringante réussite au vu de l'ambition de départ.
Si vous ne connaissez ni White ni Black albums, c'est l'occasion d'un rattrapage accéléré et légerement irrévérencieux. A Infratunes, ce sont cette impertinence et le succès grâce au réseau alternatif, et, bien entendu, les sons percutants qui ont emporté notre adhésion. A en juger le clip-montage anti-Bush qui circule, la souris est toujours dangereuse, et n'a pas fini ses facéties. Maintenant, à vous de trouver les bons contacts pour récupérer ce
Grey Album !
Chroniqué par
Guillaume
le 27/07/2004