Ce n'est pas tous les quatre matins qu'un artiste que l'on aime d'amour débarque avec un triple album. Même pas double, comme le furent il n'y a pas si longtemps les remarquables
Diamond Jubilee de
Cindy Lee (2024) et
Dragon New Warm Mountain I Believe in You de
Big Thief (2022). Comme pour ces deux albums hors normes, cette œuvre n'est d'ailleurs pas tant animée par une ambition démesurée mais disons plutôt par une générosité excessive. Ce qui est toujours bon à prendre lorsque celle-ci provient d'un auteur compositeur aussi précieux que
Jeff Tweedy, leader des essentiels
Wilco qui érigent depuis trente ans un monument à la gloire de l'americana en sillonnant des routes à la fois traditionnelles (le classicisme majestueux de
Sky Blue Sky en 2007 ou plus récemment
Cruel Country) et résolument modernes (le sommet indétrônable offert au début des années 2000 par la paire
Yankee Hotel Foxtrot /
A Ghost Is Born).
Est-ce cette Amérique actuelle, changeante, fracturée et de plus en plus polarisée, qui a poussé
Jeff Tweedy à charger autant la barque en
"outrepassant son crépuscule" (
"twilight override") ? Fallait-il témoigner ainsi de sa bonne santé à l'approche de la soixantaine en donnant un signe de vie (
Sign of Life) décuplé ? Ce quatrième album solo semble avoir été surtout conçu comme un refuge proposant une collection de trente chansons dans laquelle on pourra piocher à foison. Vous pensez bien qu'une chronique track by track ne rendrait pas compte de la forme générale de ce magnum opus ne cherchant finalement rien d'autre que de se laisser porter par le vent de la liberté (
Feel Free).
Enregistré avec des amis dans la chaleur du cocon familial puisque ses fils Sammy et Spencer sont de la partie,
Twilight Override déploie toutes les facettes du songwriting de
Jeff Tweedy. Rien que sur le premier des trois disques, on retrouve déjà ses errances folk-rock (
One Tiny Flower, le spoken words
Parking Lot,
Love Is For Love et sa guitare légèrement hispanisante), ses petites trouvailles sonores (
Mirror), sa sensibilité mélodique (
Caught Up In The Past) et son goût inassouvi pour les racines country du pays (
Betrayed). Et on pourrait en dire autant au sujet des deux disques suivants, offrant eux aussi pléthore de chansons inspirées, souvent somptueuses et parfois même touchées par la grâce (
New Orleans) ou marquées par une certaine mélancolie plus profonde, notamment sur une bonne moitié du troisième disque (à partir de la sublime
Stray Cats In Spain). Ce
Twilight Override miraculeux touche alors directement au cœur et reste, avec le magnifique
I Love People de
Cory Hanson sorti il y a quelques mois, l'un des grands albums americana de cette année.
Chroniqué par
Romain
le 28/09/2025