Le sang Des Innocents, à première vue, ça sonne un peu comme un disque engagé style règlement de comptes historique – mais ne vous y trompez pas, la référence est tout autre. Paru en 2009 sous le sombre label Rap & Revenge, cet album emprunte son titre au désormais célèbre film d’épouvante de Dario Argento, projeté en 2002 dans nos salles obscures, et qui nous conte l’histoire de jeunes filles sauvagement assassinées à Turin par un serial-killer. La couleur nous est donc toute annoncée : le noir, avec un peu (pourquoi dis-je un peu?) de rouge « sang ». Qu’on se le dise, Le sang Des Innocents s’inscrit dans le mouvement horrorcore du rap, il est un hymne à la folie humaine, une ode sanguinolente à l’immoralité, une apologie revendiquée de l’esprit gore et morbide, âmes sensibles s’abstenir.
Préambule. Il est de notoriété publique dans le microcosme du rap de reconnaître au Gravediggaz la paternité de la mode horrorcore. Cette dernière a poursuivi quelques années durant son petit bonhomme de chemin avant de se mettre depuis peu à faire des petits, beaucoup de petits. Et cette joyeuse portée ne niche pas autre part que dans le berceau du Web, juste ici, à l’endroit même où vous vous trouvez. Avec l’émergence quasi prodigieuse de ce nouveau média, c’est celle du rap indépendant et autres bannis par l’industrie du disque qui compte bien crier son existence sur tous les toits des fenêtres du Net, et prendre au passage sa petite revanche sur l’Histoire. Conséquence majeure et inévitable : les projets artistiques foisonnent mais ça ne suffit plus pour exister. L’idée, c’est de se démarquer, de venir flirter avec les extrêmes pour se créer une identité remarquable ; l’horrorcore se présente alors comme l’alibi bien utile. Aux États-Unis surtout, en France aussi, beaucoup se sont emparés du mouvement, son inertie les poussant à faire toujours pire, à taper toujours plus fort, jusqu’à adopter les référentiels sataniques. On pense notamment au collectif BloodLine, qui, à 300 mètres déjà, sent mauvais l’argument commercial (paradoxe quand tu nous tiens) et le chiqué sauce hémoglobine de synthèse. Parenthèse refermée.
Petit aparté. Le rap indépendant, pour faire simple, c’est l’exacte anti-thèse de Star Academy et consorts. On n’émerge pas de l’ombre pour venir briller sous la blanche lumière des projecteurs, et finir – c’est presque devenu une règle – par retomber dans un anonymat qu’on regretterai presque d’avoir abandonné tant il semblait douillet…avant. Non, dans l’ombre on y est et on veut y rester. On préfère directement sauter l’étape « strass et paillettes, champagne et cotillons » pour demeurer tel un sacerdoce dans la confidentialité, car c’est bien là le maître-mot. La crédibilité, tant convoitée, désormais dictée par ceux qu’on appelle avec toujours plus de facilité, avec toujours moins d’inspiration, « les puristes », est à ce prix.
Pourquoi ce prélude nécessaire ? Parce que l’album qui vous est présenté aujourd’hui n’est pas un énième perdant dans cette course effrénée vers l’individualisation, mue par de douteux complexes identitaires. Le sang Des Innocents n’est pas non plus le fruit amer de deux marginaux qui auraient tenté un coup de provoc’ désespéré et ô combien salvateur. Il s’agit d’un véritable cri du cœur d’un adepte de l’introspection : VII (à qui l’on doit deux premiers albums solos : Lettres Mortes, Les Jardins Macabres) et de son comparse pour l’occasion : Littledemo (avec lequel il avait déjà enregistré deux titres : Carnage et Abattoir, on ne se refait pas).
VII et Littledemo affirment sans détour leur refus de se calquer sur de quelconques codes, normes ou formats. Ils ont trouvé leur propre formule pour exprimer un message qui parfois peut sembler dénué de sens : dans cet album, on ne trouvera aucune idée politique qui ne soit explicitement exposée, pas plus que des revendications sociales ou une description de la rue si chère au rap traditionnel. On assistera plutôt à un déversement de colère, de haine, de violence, avec la mise en exergue de thèmes tous aussi tabous les uns que les autres : meurtre religieux, exploitation sexuelle, cannibalisme… Mais ne vous méprenez pas, il n’est pas question d’une démarche dénonciatrice – ce serait trop simple – mais bien d’une apologie de l’horreur, bouleversant toute forme de moralité. Et c’est en cela que le message de VII et Littledemo peut déranger, voire même complètement constiper. On cherche le message, le fond…et on creuse, encore et toujours, sa propre tombe, sans jamais le trouver. L’archétype parfait trouve son écho dans des titres évocateurs J'irai Pisser Sur Ton Cadavre ou encore Cannibalis, pour lequel une instru romantique, subtile et intelligente, qui aurait convenu à merveille à la plus belle des déclaration d’amour, sert un texte enragé à propos de pulsions cannibales. Si on a le cœur – et le ventre – bien accroché, on pourra au moins réviser ses cours d’anatomie, en musique s’il vous plaît. Quelques morceaux se payent tout de même le luxe d’un certain souci de réflexion métaphysique et de dénonciation, on pense notamment à Dimanche De Funérailles, gémissant comme une longue et douloureuse complainte poétique, ou Comme Une Longue Chanson dans laquelle sont dénoncés les travers du rap bling-bling. D’autres, sous le prisme d’un regard introspectif, ferait presque passer nos deux rappeurs pour des bonhomme attachants, victimes éternelles d’un système sociétal dans lequel leur place ne semble pas avoir été prévue. C’est le cas de Sac d’Os, samplé sur Paintbox des Pendragon, dans lequel VII et Littledemo nous jettent à la figure tout leur mal-être et la haine qu’il a engendré en leur fort intérieur.
Le sang Des Innocents est un véritable attentat iconoclaste à la société, mais la principale force de cet album réside sans nul doute dans la production instrumentale de 2FCH et VII lui-même. Peu de disques de nos jours peuvent se targuer d’offrir une telle constance dans leur qualité musicale. On regrettera néanmoins, malgré un flow à la hauteur chez les deux protagonistes, que s’installe une lassitude, voire même un sentiment de répétition : les lyrics sont pour une écrasante majorité déclamés sur le même ton, les phrases obéissent presque toujours à la même construction syntaxique, les mêmes prises de respirations ont lieu aux mêmes endroits. Le sang Des Innocents, c’est, comme ses auteurs aiment à le rappeler, « un disque étrange d’un style impopulaire », à ne pas placer sur la platine CD du salon familial, et pour lequel il faudra s’armer d’un bon 6ème degré afin d’en apprécier la riche substance.
Chroniqué par
Hafi
le 08/11/2009
par Hafi (le 13/11/2009)
Bonsoir,
Nous sommes donc d'accord mon cher Dte.
Il est bien vrai qu'il n'est pas toujours facile d'avouer qu'on peut écouter cet album avec beaucoup de plaisir - ça dépend à qui, surtout.
Et je te concède que ses deux premiers projets, notamment à travers le titre "Mon Coeur Est Un Cercueil" auquel tu as fait référence, font de la part de VII davantage preuve d'introspection et de poésie.
Ravi que tu sois "revenu" de ta léthargie et que le hasard t’ai poussé ici : )
par DtE (le 12/11/2009)
"la principale force de cet album réside sans nul doute dans la production instrumentale"
"les phrases obéissent presque toujours à la même construction syntaxique"
Voilà qui résume bien la chose. C'est vraiment dommage cette écriture, même si c'est sûrement volontaire.
Et je te à coup de . Et je te direct dans le ... and so on.
Les instrus sont belles et déprimantes à souhait, comme pour Jardins Macabres. Comme une honte à écouter cet album, le genre de truc qu'on veut garder pour soi.
Correspond à un de mes types de léthargie. De temps en temps ça revient. C'est revenu à peu près à la publication de cette chronique d'ailleurs, par hasard.
"Ton père sodomise une baby-sitter, pourtant te prétend que mes lyrics l'écœurent."
"J'ai manqué de courage en voulant vous éviter."
"Si pour toi je n'ai pas trouvé les mots, c'est que pour toi ces mots n'étaient pas assez beaux."
"De la froideur dans l'œil car mon cœur est un cercueil."
"Ces journées où les minutes s'étirent, où les mots ne peuvent même plus sortir... ces journées où ton cœur se transforme en rature."