Si le vingtième siècle s’est posé la question du matériau en musique (on pense notamment à
Pierre Boulez), avec le développement de ce que l’on appelle vaguement les "musiques amplifiées", c’est la musique elle-même qui tend à devenir le matériau, en un sens qui le distingue nettement du matériau neutre et sans contexte de
Boulez. Une telle mutation est particulièrement sensible à l’écoute de
Testez votre chaîne hi-fi avec Chenard Walcker de
Chenard Walcker.
La technique du couper/coller qu’affectionne l’auteur y est mise en perspective par l’utilisation d’un test désuet pour chaîne hi-fi dont le terme est la
Restructuration du message par l’auditeur. Le couper/coller musical est une pratique discontinuiste de superposition, mélange, rapprochement d’éléments disparates qui ne sont pas des sons, mais des musiques déjà constituées. Si l’auteur de ces manipulations musicales agrémente à l’occasion ses collages-mélanges-superpositions d’une fable de La Fontaine ou d’une autre récitation, l’essentiel de ses manipulations réside dans la manière dont il présente non seulement nos manières d’écouter (de) la musique, mais surtout nos manières de mémoriser ces écoutes.
L’ensemble des musiques que nous écoutons constitue une sorte de patrimoine : notre patrimoine d’auditeur. Celui-ci est composé par les liens que nous tissons, les relations que nous établissons entre les différents éléments musicaux qui constituent cet ensemble. Il détermine largement la manière dont nous écoutons et réécoutons la musique ; il détermine, par exemple, nos réactions de surprise ou de déjà-entendu, de déception ou d’enthousiasme.
Ce qui fait la spécificité et tout l’intérêt de la pratique méta-musicale de
Chenard Walcker, c’est qu’elle nous renvoie à notre patrimoine d’auditeur : perdus au milieu de ces dizaines de fragments de musique, circulant entre des morceaux de morceaux décontextualisés qui prolifèrent, nous cherchons quelque chose à projeter sur cette musique pour nous y sentir en terrain connu. Nous mettons ainsi à l’œuvre notre patrimoine d’auditeur pour tenter d’écouter une musique qui nous échappe.
Bien que singulier, le cas
Chenard Walcker, pour ainsi dire, n’est pas totalement isolé. En effet, cette démarche méta-musicale semble se répandre dans la musique actuelle, du moins dans la partie de la musique actuelle qui met en jeu les ressources de l’amplification. Elle peut prendre des formes très diverses (le sabotage à la
Fly Pan Am en est un aspect). Celle de
Chenard Walcker a pour elle l’avantage de rester profondément musicale tout en n’ayant de cesse de nous demander ce que nous avons bien pu écouter par le passé qui nous permette d’écouter ce que nous écoutons à présent.
En mêlant, mixant les sonorités et les couleurs, en confondant sans confusion les genres,
Chenard Walcker montre ainsi que, contrairement aux propos tenus par la douce voix qui nous aura accompagnés tout au long de cette fiction de vynil, il n’y a ni ne saurait y avoir d’écoute passive.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 26/01/2005