Il est des albums qu'on sent moins issus d'une méthode particulière de création que des rencontres multiples et variées jalonnant la vie de leurs auteurs.
Addiction est de ceux là.
Au fil de la lecture de la biographie de
Mister Aul, instigateur de ce projet cossu , depuis ses premiers championnats turntablistes jusqu'à aujourd'hui, cette idée se précise. Se détache alors petit à petit les contours, le patron, même, qui semble avoir fixé les limites quelque peu fluctuantes de ce deuxième opus. De l'écoute, de ce qu'on peut qualifier, avec tout le respect qu'il se doit, de boxon sonore, émerge l'impression étrange mais plutôt agréable d'avoir pu découvrir tout un pan d'un parcours individuel, le bout d'un périple.
Des origines remontent des morceaux aux teintes connues, celles du temps des tournois DMC et des premières compos (
D#Compoz l' album des débuts). Des réminiscences scratch qui, au-delà de la prouesse technique, nous rappellent, si on en doutait encore, que les platines sont de réels instruments de musique (
Wax Vision et son sample explicite est un bel hommage aux maîtres du genre,
QBert et
Numark en tête).
Des collaborations qui suivront cette époque - de
Frandol ex-
Roadrunners à
Ali Dragon ex-
Louise Attaque en passant par
Naab - naît un goût certain pour les virées en milieu de voie : productions gentiment ciselées, éclectisme et ouverture stylistique plus ou moins maîtrisée (les meringues trip-hop
The Way Out et
Dreamed limite cramées à trop flirter du côté des
Morcheeba et autre
Craig Armstrong se digèrent plutôt mal).
Enfin, à force de crapahuter sur les scènes de France et de Navarre, s'éveille chez
Aul l'envie de remiser les platines ou du moins de leur faire rencontrer d'autres pratiques instrumentales. De cette pulsion, émergent toutes sortes de morceaux hybrides au groove organique bien marqué (
Do it Part 1 & 2 ), enfouissant leurs machines sous des nappes de sons que jusque là elles seules produisaient.
Difficile finalement de trouver dans ce souk sonique, au-delà des péripéties du
Mister, ce lien qui semble malgré la diversité des influences faire tenir cet album . Si ce n'est peut-être le fil conducteur de la drum'n'bass, qui lorsqu'elle reprend ses droits, laisse entrevoir l'unité . Qu'elle soit teintée de voix sucrées (
In my soul), quasi épileptique et électrique (
Big One), ensoleillée et transpirante de skunk (
Above the rules) , ensorcelleuse (
Garden of the Moon), voire carrément vicelarde (
Supernatural), le charme opère sous le breakbeat.
On comprend alors que
Mister Aul, le tenancier de cette drôle d'auberge espagnole, est bien plus que ce gars dont les pratiques et l'expression nous auraient juste donné à lire, à livre ouvert, son histoire. Enorme technicien, véritable papillon croqueur d'ambiances et de dance-floor, il a su doter, non sans une certaine prise de risque, cet art si complexe et obscur du turntablisme d'une nouvelle palette de couleurs, avec certes parfois un poil trop d'emphase, mais aussi avec cette touche de générosité volontaire qui font les albums empreints de sincérité. Enfin, disons sincérité si on exclut la petite omission sur l'enseigne:
Addiction aurait tout de même mérité un pluriel... Vue l'opulence, on aurait pu un peu mieux se préparer et gérer le sevrage.
Chroniqué par
Yvan
le 31/05/2007