Le nouvel album de
Sylvain Chauveau est une collection de reprises de
Depeche Mode. L’information est propre à surprendre, mais s’explique pourtant dès le titre du disque,
Down to the bone. Empruntés au refrain de
Stripped, les mots rendent ainsi parfaitement l’ambition de cet album: dépouiller jusqu’à l’os les chansons de Depeche Mode, pour les rhabiller ensuite d’une parure nouvelle, sobre et acoustique. Une démarche similaire en quelque sorte à celles tentées ces dernières années par
Tori Amos (
Enjoy the silence) et
Johnny Cash (
Personal Jesus), mais développée ici sur la longueur, au travers d’une dizaine de morceaux. Pour cet exercice périlleux,
Chauveau est accompagné de l’impeccable
ensemble Nocturne, formation nécessaire à la réalisation de ce défi consistant à se réapproprier les compositions de
Martin Gore.
Comme alternative aux synthés et rythmiques emblématiques du son de
Depeche Mode,
Down to the bone propose des réarrangements subtils – piano, cordes et clarinette en avant – avec quelques virées électroacoustique bienvenues. Un écrin idéal pour la voix de
Sylvain Chauveau. Car c’est là peut-être la plus belle surprise de cet album; le musicien autodidacte s’est mué en chanteur, sa voix habitant merveilleusement chaque morceau (à l’exception notable d’
Enjoy the silence, où elle disparaît au bout de la première partie). Quant à la musique, elle présente comme une palette des diverses inspirations de
Chauveau, de la mélodie au silence (l’intermission
(Enjoy) the silence ou les fins de certains titres). Naviguant par légères variations, elle évite parfaitement les écueils de la monotonie et de la formule. On passe ainsi d’arrangements denses et luxueux (
Home,
In your room) à des partis-pris plus dépouillés, presque minimalistes (le superbe
Blasphemous rumours). Parfait résumé de ces diverses directions,
Stripped s’ouvre ainsi sur une ligne isolée de piano, par-dessus laquelle se greffent des nappes discrètes de cordes, jusqu’à l’entrée de la clarinette. Celle-ci oscille alors entre intégration au groupe et virées solistes miraculeuses. L’expérimentation n’est pas oubliée pourtant, offrant l’occasion de déconstruire les compositions originelles, de les confronter à des manipulations déstabilisantes (
Freelove, ou l’étonnant
Death’s door). L’occasion de rappeler les différentes pistes explorées par le travail de
Sylvain Chauveau, d’insuffler d’autres lignes de conduite à cette pop élégante. De furtifs remodelages de la texture sonore qui permettent encore un travail sur la superposition des prises (
Enjoy the silence) ou l’intégration de samples sur certains morceaux (de
Pierre-Yves Macé,
Toy Bizarre et
Below the Sea). Le choix des titres enfin, majoritairement puisés dans une discographie s’étendant jusqu’au mythique
Violator (avec tout de même quelques chansons plus récentes comme
Home et
Freelove), confère au respect. Des classiques inévitables (
Never let me down again,
Enjoy the silence,
Policy of truth) jusqu’à des titres un peu moins connus (
In your room,
The things you said) le répertoire de
Depeche Mode est largement visité, ne cédant pas ainsi à la tentation du tube à tout prix. Cette orientation permet encore de ménager une surprise en cours de route avec la relecture de
Death’s door, chanson connue des seuls aficionados du groupe, face B héritée du maxi
In your room.
Parfaite intrusion de
Sylvain Chauveau dans l’univers pop,
Down to the bone rappelle quelque peu l'univers de
Mark Hollis, l’évidence mélodique en plus. Tour à tour élégant, exigeant et séduisant, sans jamais se montrer trop respectueux, cet album apparaît comme une réussite incontestable, mariage de deux espaces musicaux qui semblaient étrangers. Mieux encore, en plus de réinvestir les chansons de
Depeche Mode,
Sylvain Chauveau et l’ensemble Nocturne parviennent à les réhabiliter, à en extraire leur incroyable force mélodique, pour leur offrir une seconde jeunesse. Album ambitieux et osé,
Down to the bone s’impose comme l’une des sorties essentielles de cet automne, parfait de beauté et de maîtrise.
Chroniqué par
Christophe
le 03/11/2005