Drôle d’histoire que celle d’
How strange, innocence – première tentative discographique d’
Explosions in the Sky – partagée entre collectionnite aiguë d’un autre temps et frénésie p2p contemporaine. Edité à l’origine sous la forme de 300 CD-R en 2000, puis réédité en vinyles limités et en vente durant la tournée 2003 du groupe, ce premier album devint objet de culte (jusqu’à atteindre les 500$ sur certains sites de vente aux enchères) tout en restant disponible pour qui sait chercher, en format… mp3. Disque épuisé donc, mais auquel les joies de l’Internet interdisaient tout statut mythique en lui offrant une présence en ligne. Hésitant entre amour et embarras face à cet essai initial, les membres du groupe ont finalement consenti à sa réédition en CD, rassurés depuis par leurs deux albums parus sur Temporary Residence, correspondant mieux à leurs attentes musicales.
How strange, innocence apparaît donc cette année officiellement dans les bacs, remasterisé et habillé d’un nouvel artwork (très joli au demeurant) pour l'occasion.
Au moment d’écouter cet album, il s’agit de garder en tête ce bref historique. Enregistré en quelques jours par un groupe tout juste âgé de sept mois,
How strange, innocence n’appartient pas tout à fait à la discographie d’
Explosions in the Sky. Il convient plutôt de parler des balbutiements originels d’un groupe en devenir. Mais faut-il pour autant rougir de ce premier opus? Bien sûr, le son n’est pas aussi imposant que sur
Those who tell the truth shall die. Evidemment, les mélodies des guitares ne rivalisent pas avec celles mises en œuvre sur
The earth is not a cold dead place. Immanquablement, on pense à
Mogwai à l’écoute de certains titres (
Snow and lights) ou à des schémas post-rock entendus maintes fois depuis (
Glittering blackness). Mais tous ces défauts s’estompent à l’écoute des titres les plus réussis de l’album. Le morceau d’ouverture,
A songs for our fathers, préfigure ainsi les diverses directions que va prendre la musique d’
Explosions in the Sky, oscillant entre lignes claires et aériennes de guitares – via un duo électrico-acoustique – et accès de fureur maîtrisés, le tout rythmé par une batterie martiale, véritable tambour de marche par instants. Plus brouillon,
Magic hours dessine un groupe qui se cherche encore, mélodies des guitares par-dessus une rythmique plus légère, virant dans son final en un capharnaüm noisy, tendu et efficace.
Look into the air démarre quant à lui sur un rythme lent, pour entamer une accélération irrésistible dans sa seconde partie, dictée par une batterie étrangement débridée. Mais c’est peut-être
Time stops qui marque le plus, où les guitares abandonnent leur suprématie durant la première partie, pour une plage ambiante naissant de ce que l’on imagine être un croisement entre un violoncelle enroué et un cuivre en sourdine. Le morceau s’emporte ensuite pour une montée à la cadence enlevée, jusqu’à la saturation inévitable, marque d’une jeunesse sonique à fracasser les tympans. Plus calme et serein,
Remember me as time of day referme magnifiquement l’album, tout en retenue, présentant le versant le plus ouvertement mélodique du groupe.
Si
How strange, innocence apparaît évidemment inférieur à ses successeurs, il serait injuste de le cantonner à la simple anecdote. Témoignage d’un groupe qui se cherche encore, cet album offre tout de même son lot de fulgurances, esquissant par instants tout ce qui fera la force et la beauté du groupe. Mais plus encore, il permet de découvrir une autre facette d’
Explosions in the Sky, à mille lieux de la parfaite maîtrise des albums à venir. Celle d’une jeunesse séduisante, partagée entre excès et timidité, confusion et aspiration. La fibre rock’n’roll qui manque trop souvent à l’appel sur les premiers essais appliqués des nouveaux groupes de la mouvance post-rock.
Chroniqué par
Christophe
le 18/10/2005