Non,
Fuzati n'est pas quelqu'un de "très sympathique". Quand, après avoir cru fraterniser avec le hip-hop et la bande de
l'Atelier, il revient assurer la permanence du
Klub des loosers (dont il est l'unique membre), il en profite pour écorcher l'imagerie bourgeoise de
Air (qui ont lancé le label qui l'héberge, Record Makers) au détour d'une chanson dédiée à leur ville commune, Versailles. Le passage est en fait plus farceur que méchant : "enfermés dans leur chambre Jean-Benoît et Nicolas écoutent les
Pink Floyd en rêvant de fonder un groupe pour pouvoir vivre de leur musique...". En fait d'autant plus inoffensif que JB Dunkel est crédité en featuring. Mais
Sous le signe du V réserve d'autres joies que cette pique entre collègues.
D’abord, saura-t-on jamais la part exacte d'autobiographie dans les monologues de ce looser auto-déclaré ? Toujours est-il que la narration du personnage est plus que jamais celle d'une intuition aiguë des réalités sociologiques. Pour preuve, cette phase lucide : "Ici bizarrement il y a des choses dont on ne parle pas / Comme du nombre de jeunes qui chaque année se suicident en classe prépa", ou encore "Si les parents de François s'absentent un squat sera sans doute organisé / Nous y descendrons quelques packs de Kro en écoutant du rock et fumant des joints" et l'allusion pas plus complaisante à ceux d'entre eux (les Versaillais) qui "vivent même dans des camions et font de la techno dans la forêt" ponctuée d'un chœur séduisant adéquat et a-
Air-rien.
Et puis, il se trouve que
Fuzati récite. De fait, ses tirades semblent relever d'une approche du rap plus littéraire qu'orale. Il en résulte un décalage supplémentaire lorsqu'il évoque les difficultés d'intégration auprès de ses camarades d'enfance ("au foot, personne ne voulait me passer la balle"), sur le mode de la déclamation (avec le ton) ! Pas question de s'apitoyer pourtant : ce handicap social qui le suit depuis l'enfance, c'est un style ! D'où le slogan du second morceau (
Depuis que j'étais enfant) : "j'avais déjà ce style étant enfant".
Pour rehausser l'affaire,
MF Doom pose à l'aise, s'appropriant sans peine un parfait groove indolent - qui se savoure également en version instrumentale - ponctué de scratches dociles. Back in the days, les backgrounds impeccables tout au long de cet EP auraient pu être mixés au studio Plus XXX (
Air,
La Funk Mob) dans sa plus belle période. Le remix qui suit se base sur une boucle jouant tout autant la carte d'une agréable musicalité, qui n’en sera que mieux subvertie par le misanthrope autoproclamé. Sa touche lyricale, entre cynisme houellebecquien et sens décapant de la formule, fait mouche plus que jamais sur cet EP, laissant augurer du meilleur pour
Vive la vie, l'album prévu pour le 15 novembre. "Loo-ser !" : on entend déjà les pom-pom girls en chaleur (forcément lesbiennes dans ses rêves, voir le maxi précédent) dans un ironique renversement de situation pour ce garçon qui remarquait : "j'ai pas d'amis, j'ai pas de copine, qu'est-ce tu veux qu'j'ai un public ?". C'est aussi à vous qu'il revient de lui démontrer le contraire, qu'il puisse "vendre plein de disques, que son label gagne plein d'argent"...
Chroniqué par
Guillaume
le 19/10/2004