Je m’en souviens comme si c’était hier : je sors de chez mon disquaire favori en tenant enfin le tant attendu 
Fantastic Damage entre mes mains, sans être passé par aucun des stades préliminaires en vigueur. Il faut dire que j’avais alors une entière confiance en 
El-P, producteur attitré des deux disques de 
Company Flow et du superbe 
The Cold Vein pour 
Cannibal Ox. Pourtant, après trois écoutes attentives, le verdict tomba aussi sec : le premier album du bonhomme ne passe pas, enfin pas comme je me l’imaginais.
Exit en effet l’atmosphère épurée et intrigante des premiers travaux d’
El-P, 
Fantastic Damage donne ouvertement dans la surenchère, en superposant un nombre incalculables de couches sonores, d’idées et de réminiscences en tout genre. Une densité qui certes impressionne au premier abord, mais tombe trop vite dans un magma complexe et, osons le dire, dérangeant. Un jugement fondé en partie au travers des sifflements «ventoliniens» d’
Accidents Don’t Happen et du beat surchargé de 
Lazerfaces’ Warning, qui poussent à utiliser sans remord la touche «avance rapide» de la télécommande. Désabusé, je mets le disque de côté en m’efforçant de repenser à ses moments les plus marquants, comme la fin aérienne de 
Truancy, l’atmosphère apocalyptique qui se dégage de l’imparable 
Deep Space 9mm et le couplet assassin d’
Aesop Rock sur l’efficace 
Dolorean. Et la pochette est belle, éloquente, colle même parfaitement à la musique d’
El-P, de par son caractère sinueux et torturé. Mais cela ne suffit pas.
Le temps passe… Je ressors souvent 
Fantastic Damage de ma discothèque, persuadé dans ma frustration de ne pas l’avoir encore compris. Pourtant ça ne vient toujours pas, malgré les qualités évidentes de cet opus. Premièrement, la production d’
El-P a tout de même conservé cette touche de mystère, cette fine couche de brume spatiale qui avait fait la renommée de 
Funcrusher Plus, comme le prouvent les cuivres épais de 
Tuned Mass Damper et le beat caverneux et introspectif de 
Stepfather Factory. Ensuite, si l’intéressé semble parfois hésitant sur son flow, il ne manque pas de proposer à son auditeur des textes d’une grande richesse, oscillant entre la critique sociale de 
Deep Space 9mm (Existence on the fringes and such. my generation make friends with slugs, thank god for the drugs and drums, tell history that I'll be right here hiding from guns) ou de 
Dead Disney et les blessures infantiles récitées sur 
Stepfather Factory. Last but not least, 
El-P parvient à transmettre peu à peu ses angoisses concernant l’évolution du monde qui l’entoure, et en premier lieu d’un New York qui n’aura jamais paru aussi froid et oppressant, à l’image des samples et de la distorsion utilisés par l’artiste sur des morceaux tels que 
The Nang, the Front, The Bush and The Shit ou encore l’excellent 
Squeegee Man Shooting.
Mais la première impression persiste : 
El-P en fait trop et prend même des airs de démagogue lorsqu’il scande ce «Motherfucker, did I sound abstract? I hope it sounded more confusing than that» ou en reprenant le loop déjà utilisé pour le 
Vein de 
Cannibal Ox sur 
Delorean. Malgré tout, 
Fantastic Damage reste un album d’exception, gavé d’audace et d’interrogations auxquelles l’ancien pilier de 
Company Flow pourrait bien répondre avec son prochain opus, dont la sortie sera encore plus attendue que par le passé. Car il est certain qu'
El-P peut encore mieux faire... 
	
	
		Chroniqué par 
		David Lamon		
		le 22/08/2004