Keith Fullerton Whitman est clairement en train de devenir un maître de l’électronica, ou peu s’en faut. Et d’abord parce que sa musique est le résultat d’une pluralité de pratiques qui lui garantissent énergie, renouvellement et multiplicité de visages.
En témoignent ces
Three Shows enregistrés à trois dates proches l’une de l’autre (29 avril, 02 mai, 08 mai) à Boston et New York et qui font suite au Yearlong, réalisé avec le même
Greg Davis.
Une fois encore, la chose qui frappe le plus dans la musique de
Keith Fullerton Whitman, c’est sa capacité à fabriquer un objet-musique (
Twenty Two Minutes for Electric Guitar) ou un corps-musique (comme ici). Chacun des sons utilisés ici, chacune des distorsions ou des harmoniques des instruments employés sont pris dans un même flux sonore, un même torrent d’énergie. On aura rarement eu autant le sentiment que la musique jouée par les haut-parleurs est un objet spécifique lancé dans le monde, pas un ensemble de vibrations dans l’air environnant mais un corps compact, plein, solide, insaisissable mais bel et bien là. Comme si, en se déplaçant des haut-parleurs à l’auditeur, la musique se dotait d’une existence concrète, d’une présence impossible à nier. Comme si la musique existait plus pleinement.
Sorte de prouesse au regard de l’impressionnant arsenal instrumental employé ici (au contraire, justement, de
Twenty Two Minutes for Electric Guitar) : percussions objets, gong, dulcimer des montagnes, shruti box, melodica, voix, crackle box, magnétophone, double mijwiz, kalimba, emploi de field recordings, pédale de delay analogique et ordinateur pour
Greg Davis ; circuits séquentiels pro-one, crackle box, cymbale, xylophone Hello Kitty, cloches indiennes à maillet de bois, carillons africains, zarb, guitare électrique, electro harmonix octave divider, tube zipper, analyseur de fréquences, memory man deluxe, et ordinateur encore pour
Keith Fullerton Whitman. Une sorte de chaos instrumental qui trouve bel et bien ici un statut de matériau pour démiurges, le live devenant réellement l’expérience où la musique advient en sa forme propre, où l’improvisation ne se départit jamais du modelage.
De miniatures arythmiques et tribales du premier disque aux essais plus expérimentaux du second, le tout lié par de longues nappes et aboutissant à la rugosité des textures du troisième, ces
Three Shows dressent la carte des différentes pratiques de
Keith Fullerton Whitman et
Greg Davis, de la plus belle des manières.
Chroniqué par
Mathias
le 24/03/2006