Il faut dire — comme inlassablement sans doute — à quel point la musique a trait au corps. Non pas au corps glorieux, fantasmé, céleste, mais au corps réel, en actes, et que c'est ce corps qui est à l'origine et à la fin de la musique — ce qui se voit dans les mouvements qui la produisent et qu'elle induit. Il faut dire aussi que ce sont les "musiques populaires" — au sens le plus large que l'on puisse donner à ce terme — qui ont le plus contribué à faire apparaître clairement cet aspect de la musique.
Dans le sample qui entoure un titre inédit de
La diagonale du fou, une femme, une actrice, belle, c'est certain, c'est ce que l'on imagine, parle de revolver, des balles qu'elle retire de ce revolver et de son couple auquel elle met fin en partant lorsque l'autre ne veut pas s'en aller. Ça ne dit à proprement parler rien de la musique jouée, mais ça laisse envisager ce qui s'y joue — dans le genre : déchirements, rupture, corps qui s'étreignent, s'éloignent l'un de l'autre, s'échappent, fuient — et éclaire différemment une musique qui apparaîtra bien souvent rugueuse au premier abord. Sauf que tout est maîtrisé, structuré avec minutie et que l'impression est à la fois à la simplicité et la complexité.
Simple, puisque dans le moment de l'exécution, tout paraît aller de soi, les phases s'enchaînant dans une sorte de suite naturelle savamment agencée par les musiciens.
Complexe justement à cause de cet agencement. Comme par exemple lorsqu'une même phrase ambigue, mélodique et glissant simultanément hors du ton, est répétée longuement et que, sous l'effet des nuances de la batterie qui, loin de marteler, nuance, contraste, met l'accent ici plutôt que là, elle ne cesse de changer d'aspects, parfois claire et parfois saturée, toujours identique et pourtant jamais la même.
C'est dans ces moments-là que
La diagonale du fou expose ce qui, au plus intime, fait sa musique : une idée fixe que l'on dérive vers un point perceptible seulement en son extrême limite. Alors, une autre peut la relayer.
C'est là aussi que la musique, saisie par les corps de ceux qui la jouent, prend en retour leur contrôle, induit des mouvements improbables ou bien incontrôlés / incontrôlables, mais toujours pas de danse. C'est là aussi que les corps écoutant réagissent à l'unisson de la musique, la suivant dans ses variations d'intensité, comme pour mieux la suivre, comme pour mieux y acquiescer et l'appeler encore.