Dans sa musique faite de field recordings et d’expérimentations soniques,
Carl Michael Von Hausswolff intègre depuis toujours ses penchants pour les arts visuels afin de livrer en bout de course des œuvres totales et multidimensionnelles, souvent à la limite du document. Sa dernière livraison,
800.000 seconds in Harar n’échappent pas à la règle, bien qu’elle se fasse plus abordable que certaines de ses œuvres passées.
Après avoir laissé la marque de son passage sur des antennes telles que
Raster-Noton,
Sub Rosa ou
Ash International, il y a quelque chose de logique à voir
Von Hausswolff poser pour la première fois ses bagages chez les anglais de
Touch.
800.000 seconds in Harar pourrait effectivement se situer entre les musiques environnementales de
BJ Nilsen et
Chris Watson et le minimalisme jusqu’au-boutiste d’
Eleh ou
Oren Ambarchi..
Avec ce nouvel album,
CM Von Hausswolff livre la bande-son d'une pièce de théâtre moderne sur les dernières années de la vie d’
Arthur Rimbaud en Ethiopie. Bien décidé à travailler autours d'un matériel sonore habité par l'aura du poète maudit, le chasseur de sons n'a pas hésité longtemps pour s'envoler pour Harar, la fameuse cité fortifiée où l’aventurier
Rimbaud a finit ses jours comme négociant, bien loin des éclairs poétiques de ses jeunes années.
A Harar et dans ses parages, le sound-designer suédois traque les signes de la présence d’
Arthur Rimbaud. Le pays est-il resté tel que le poète l’a laissé un peu plus d'un siècle auparavant? Les field recordings ramenés par le suédois le laissent parfois penser. On y entend des cris d’enfants, le souffle du vent à travers le branchage des arbres, des bruits d’insectes la nuit venue, et plus loin encore le rythme imperturbable de gouttes d’eau s’échappant d’un robinet : autant de sons immuables convoyant des impressions d’attente interminable, de nuits blanches peuplées de songes inconfortables et d’ennuis.
Les nuits d’
Arthur Rimbaud étaient-elles aussi hantées par le son menaçant d'un krar, cet instrument à cordes éthiopien dont le bourdonnement emplit du début à la fin les longues plages de
800.000 seconds in Harar?
Les premières pistes du disque,
Day,
Night et
Alas! forment un triptyque où le son ample du krar, joué amplifié à l'aide d'un archet, écrase les rumeurs d’une vie qui ne semble pas s’être arrêtée après le départ de
Rimbaud, à moins qu’au lieu de poursuivre son cours elle ne soit restée comme suspendue jusqu’à l’arrivée de notre chasseur de sons. Ce triptyque aussi monolithique que profond plonge dans une méditation dont la béatitude et la noirceur mélangées ne sont d'ailleurs pas sans rappeler l’atmosphère de
La Ligne Rouge, le film de
Terrence Malick.
Quant à
The Sleeper In The Valley, il s'agit de tout autre chose : il s'agit de spiritisme. Le bourdonnement du krar sur cette pièce finale semble osciller de manière souterraine à mesure que
Von Hausswolff égraine en des bip bips énigmatiques la traduction en morse du
Dormeur du Val. Le Suédois nous le décrit très bien : ce poème, l’un des plus célèbres de
Rimbaud, commence par la description d’une nature souveraine et bouillonnante avant de s’achever dans un mouvement de zoom, sur le corps endormis d’un soldat criblé de balles.
Ainsi le périple de
CM Von Hausswolff à Harar se compte en secondes, la musique qui en émane aussi, comme pour dire la fulgurance et la fugacité de la vie d'
Arthur Rimbaud. C'est précisément au milieu de sons qui semblent intemporels que le suédois en révèle les réminiscences avant que celles-ci ne disparaissent presque aussitôt dans le néant.