Chaque disque de
Scott Herren est, à sa sortie, une source intarissable de discussion. Attendu au tournant avec
Prefuse 73, avec comme épée de Damoclès au-dessus du crâne, la demande des fans d'un successeur digne de
One Word Extinguisher, il est de l'autre côté pris à partie dès qu'il "s'humanise" et se jette dans son side-project,
Savath & Savalas, jusqu'à son label d'origine
Warp qui lui conseille de ne pas trop se disperser.
Conséquence de tout ça, son nouvel opus sous ce nom sera signé ailleurs (
Anti-, label de
Tom Waits,
Tricky,
Daniel Lanois). S'il n'était pas sûr de pouvoir réitérer une sortie sous la bannière du double S, on peut être rassuré sur les nouvelles possibiltés d'exutoire du bonhomme. D'autres lui font confiance.
Golden Pollen, sa dernière livraison, reprend les débats là où
Apropa't, les avait clôt, avec un
Sigue Tu Camino qui insidieusement annonçait déjà la couleur.
On peut même dire qu'il lui succède magnifiquement, même sans le chant lumineux d'
Eva Puyuelo . S'y retrouve par contre toute la nonchalance du prodige qui traine son espagnol tout en nuances et déplacements, sur des arrangements éthérés et des mélodies pop pleines d'étrangetés, évidentes de clarté (le travail sur le son du
Tortoise,
John McEntire, fidèle au poste, est remarquable). Sans parler de qualité de chant - en est-ce vraiment ? - la voix de
Scott Herren, omniprésente sur ce
Golden Pollen parvient en quelques mesures à poser un décor des plus singuliers, comme suspendu, coincé entre deux eaux (
Apnea Obstructiva).
Comme peu de disques d'aujourd'hui savent le faire, ce troisième essai de
Savath & Savalas allie inspiration harmonique de grande classe (le cinématique
Concreto) à un sens de la minutie qui touche à la sorcellerie (l'habité
Faltamos Palabras), et qui en fait un album supportant, ou plutôt induisant, un nombre d'écoutes considérables.
En effet, petit bémol à noter : une sensation envahissante d'engourdissement qui, plutôt que d'attendre sa transformation en saturation, vous pousse à remettre à plus tard une écoute espérée alors plus active. Fort de ce constat, simple recommandation d'épicurien à épicurien , qui en soi n'engagera à rien d'autre que prendre son temps - là où d'autres plus impatients prôneraient la coupe franche voire la réduction en Ep - plus rien ne pourra vous empêcher de profiter pleinement des douceurs du Pollen d'Or .
Si globalement ces seize titres fonctionnent bien , au-delà des images chaudes et apaisantes déjà présentes sur le précédent opus, c'est que cet ensemble est façonné par un
Scott Herren qui certes se révèle en pleine possession de ses moyens mais a su aussi s'adjoindre des compétences remarquables. Que ce soit au chant avec
Mia Doi Todd (un introductif hommage au guitariste brésilien
Luiz Bonfa) et
Tyondai Braxton de
Battles (le très prenant
Ya Verdad) ou avec la saxophoniste
Matana Roberts (croisée sur le tarmac du
Yanqui U.X.O des
G.Y!B.E. et qui joue là sur
Te Amo), cette drôle d'équipée maîtrise à merveille les approches au plus près du corps (l'idyllique
Estrella de Dos Caras en duo avec
José Gonzales) , frôlant l'os même parfois (le spleenien et introspectif
El Solitario), brassant les textures avec une assurance exaltée en usant d'électronique et d'acoustique sans excès ni trop de fautes de goût. (
Tormenta de la Flor mis à part avec son côté ritournelle un brin agaçant).
Vous l'aurez compris, si ce
Golden Pollen peut paraître au premier abord épuisant sur la longueur , il reste inépuisable dans l'émotion et la langueur que parcimonieusement, on ne se lasse plus de se laisser prodiguer.
Tout n'étant peut-être finalement qu'une question de dosage.
Chroniqué par
Yvan
le 09/10/2007