L’expérience de Milgram, rendue célèbre par le film d’Henri Verneuil, I comme Icare, tend à démontrer que, dans un contexte (pseudo-) scientifique (car fictionnel), une majorité d’individus acceptent de se soumettre à l’autorité pour accomplir des actes qu’ils jugent injustes (en l’occurrence : administrer des décharges électriques d’intensité croissante à des sujets qui répondent mal aux questions qu’on leur pose).
De l’autorité et de la musique. Et, de la résistance à l’autorité, c’est peut-être ce qui est suggéré. Car,
Milgram, le groupe, aussi proche du post-rock ou du math-rock qu’on puisse l’entendre, semble perpétuellement échapper à ces catégories, se faufiler dans les trous que permet de creuser la musique (jouée comme si l’on pensait en musique) au cœur même des genres, non pas tant pour les subvertir que pour aller voir ailleurs si la musique est possible. Or, ailleurs, et c’est en cela que
Milgram en plus d’être un groupe est une expérience réussie, la musique s’avère possible.
Où ça ?
Disons dans cet orgue qui revient, déplace le centre de gravité d’un morceau, discret, mais suffisamment présent pour que l’évidence du rock qui est à la racine de la musique de
Milgram s’estompe (
Cream Son,
Van Alfred,
Hulk Organ,
Yes Master).
Où ça ?
Disons dans ce synthétiseur qui sur
Agent Tyna vient dérouter l’écoute : il s’impose comme une partie parfaitement naturelle de la composition tout en y introduisant une dimension incongrue, quelque chose qui tient du dérapage, sous le contrôle des musiciens, comme ces changements de rythme qui font passer le morceau du rock mid-tempo à une sorte de reggae déjanté, pour mieux relancer la machine par après.
C’est encore dans le ton distancié, pas désabusé, mais amusé, qu’adopte
Milgram, une sorte de parodie textuelle de certains classiques ou de légers glissements sémantiques (
Another One Buys The Dust a tout du pied de nez à
Another One Bites The Dust de
Queen,
Cream Son est comme une blague à propos de
King Crimson,
Good Buy pour Goodbye, etc.) qu’on trouvera une manière de résistance : donner un, que dis-je !, dix sens, ironiques, dérisoires, à cette musique tout instrumentale, détourner les mots, leur donner une signification, seconde, comique, ou du moins souriante, et l’accoler à une musique qui n’a rien de risible, une musique qui est tout ce qu’il y a de plus sérieux. Non qu’elle se prenne elle-même au sérieux, “ne pas se prendre au sérieux”, ne signifie pas “ne rien prendre au sérieux”. Elle a le sérieux qu’elle veut : celui de l’exécution peaufinée et que l’on finit par avoir envie de caresser tant elle s’avère être douce, comme une réussite que l’on savoure, sans gloire, mais sans fausse modestie.
Avec
Another One Buys The Dust,
Milgram n’en est pas à son coup d’essai (en 10 ans d’existence, autant dire que le groupe en est loin…), il signe tout simplement un coup de maître. La phrase n’est pas originale, elle est simplement vraie.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 23/04/2006