Retour sur une compilation sortie il y a quelques mois déjà, mais qui par son caractère intemporel se place hors des caprices de l’actualité.
Elle nous projette à Chicago, dans la seconde moitié des années 80. Profitant des derniers progrès technologiques, quelques jeunes noirs, sans éducation musicale pour la plupart, sont alors en train de définir les bases de ce qui constituera une révolution musicale majeure : la house music. Deux démarches s’opposent d’emblée : tandis que certaines productions revisitent le passé, réhabilitant le disco et rencontrant un succès immédiat, d’autres plus ambitieuses préfèrent faire du passé table rase pour inventer le futur.
C’est sur ces dernières productions que se focalise cette double compilation de chez Soul Jazz Records, qui nous replonge dans une époque formidablement excitante où tout était possible. Tout, comme torturer et pousser dans ses derniers retranchements une bassline ratée de chez Roland, la TB303, la détournant complètement de son usage initial en lui faisant cracher un son suraigu. Tout, comme pousser le vice jusqu’à triturer « live » les potards de la pauvre machine pour modifier la texture du son et baser la progression de son morceau sur une constante évolution de fréquences plus que sur une progression harmonique. L’histoire est désormais connue, c’est ainsi que
Spanky et
DJ Pierre créèrent le morceau acid original,
Acid Trax, joué 4 fois de suite par le mythique DJ
Ron Hardy le soir où ses créateurs lui en remirent une copie, et dont les volutes hypnotiques devinrent cultes avant même le morceau pressé, déclenchant une réaction en chaîne qui vit naître environ un million de morceaux calqués sur le même modèle, et qui fit perdre la tête à l'Angleterre, enclenchant le phénomène rave.
On retrouve bien évidemment sur la compilation ce morceau fondateur, ainsi que d’autres hymnes indispensables de l’époque, comme l’
Energy Box, du même
DJ Pierre, qui inspira plus d’une vocation chez les freaks de l’IDM anglaise, ou le
This is Acid de
Maurice, parmi d’autres plus rares comme cet étonnant morceau de
Roy Davis Jr, plus connu pour son hit garage
Gabriel.
L’ensemble donne bien évidemment la part belle au couple TB303/TR808, dans toutes les variations que permet cette formule relativement simpliste, du deep
Beyound the Clouds de
Mr Fingers au très dur
Acid Crash de
Tyree, mais pas seulement. La compilation n’est pas sous-titrée « chicago acid and experimental house 1985-95 » pour rien, et on retrouve d’autres morceaux délaissant l’acid mais s’insérant parfaitement dans cette démarche d’exploration, d’invention.
Cette démarche émerge en filigrane dans un livret très documenté, agrémenté d’interviews de figures majeures de la house (parfois désarçonnantes de modestie et/ou de naïveté). On accède en le lisant à une histoire complète de la scène chicagoane, de l’héritage culturel laissé à la scène house émergeante jusqu’à son déclin, en passant par les clubs et personnages marquants, la « rivalité » entre les deux djs stars de la ville
Franckie Knuckles et
Ron Hardy, les premiers hits, les dessous peu glorieux du music business, les machines utilisées, etc…Ce livret renforce ainsi l’impression d’avoir entre les mains un instantané parfait de cette folle époque.
Mais cet aspect « archive » et l’âge des morceaux (la plupart ont été composés avant 1989) ne les cantonnent absolument pas à n’avoir qu’un intérêt historique. Il serait dommage de n’y voir que cet aspect et d’écouter les 17 morceaux de la compilation par nostalgie, comme on regarde un vieux film de science fiction, en s’amusant de son futurisme kitsch. L’époque privilégiant alors l’instinct à la technicité de la production, l’impact de la plupart des tracks reste, l’excitation liée à la nouveauté en moins, quasiment le même et ceci même sur un auditoire non averti.
On tient avec cette scène early house de Chicago un formidable exemple de la manière dont la technologie peut prendre des chemins de traverse et conditionner matériellement la musique. Des machines qui au départ étaient choisies par contrainte économique, pour reproduire tant bien que mal ce sur quoi l'assistance du Music Box dansait, ont finalement stimulé la créativité et servi de dénominateur commun à des artistes expérimentaux par naïveté et spontanéité. Une compilation décidément indispensable, pour découvrir ou se souvenir. Parce que tout vient de là.
Chroniqué par
Pek
le 22/02/2006
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