Figures-clés de l’improvisation malgré la confidentialité de leurs sorties, regroupés en un trio qui tient autant de l’hydre à trois têtes que de la réunion sous un même nom de simples musiciens,
Mark Wastwell,
Bernhard Günter et
Graham Halliwell se lancent ici dans un projet triangulaire, trois côtés, trois angles d’approches, trois regards (ou plutôt trois écoutes) d’un même matériau. Pour produire, au final, une "écoute libéré" (torsion orthographique à la clé).
Le principe ici mis en œuvre : chacun des trois musiciens propose un morceau issu de la récupération de matériaux sonores des deux autres, que ce soient des lives jamais publiés, des démos, des pans entiers de leur discographie. Le tout mêlé dans des morceaux majoritairement improvisés et hantés, à la manière des cloches lancinantes de
Lone Star.
Comme souvent avec
Wastwell,
Günter et
Halliwell, l’improvisation se distingue mal de l’ambient, elle a à cœur d’en effacer les lignes de démarcation, des les évider de plus en plus. Patiente démarche qui est aussi et toujours une méditation, approche et réception à rythme lent de la musique des autres, de sa propre musique, quelque chose qui a à voir en définitive avec la peinture à l’encre de Chine (
Bernhard Günter écrit des haïkus, et l’exercice demande en définitive la même rigueur, la même rentrée en soi) : un abandon au vide, au plein, une manière de se laisser porter et tomber alternativement par les reliefs et les dépressions du son. Comme si, dans cet exercice, le musicien tentait de découvrir et mettre au jour la loi secrète du son, son unicité, d’entrer en accord avec lui pour ne faire qu’un et tisser un rapport d’identité, un rapport d’entente (d’écoute) mutuelle et profonde, où le musicien décide autant du son qu’il n’est décidé par celui-ci. Disparition du musicien à l’intérieur du son, de l’altérité : c’est bien ce que ce projet entend réaliser, qui a toujours soin de ne pas marquer les différences d’approches des trois improvisateurs, comme si chacun n’était rien de plus, au fond, que la phrase singulière et momentanée d’une entité collective. Ainsi s’expliquent les structures récurrentes, ces longues notes sans attaques qui émergent et se fondent dans la note suivante, et reviennent périodiquement, par cycle, exprimant un ordre encore incertain, qui tente de s’affirmer : ici les tâtonnements de l’improvisation, ses retours (qui sont toujours, aussi bien, des hésitations, des volte-face, des repentirs inquiets quant aux hasards de la naissance du son) sont le signe d’une recherche en acte, d’un accès au plus intime de la création sonore. Quand le son est incertain au point de n’avoir rien d’autre à livrer que son incertitude, il s’ouvre entièrement à l’errance, aux possibles. Comme ici où, à chaque écoute, l’improvisation reprend tout à zéro. Un disque moins improvisé / enregistré que toujours renaissant, mouvant, ouvert, correspondant parfaitement à la définition toute personnelle de l’improvisation que défendent
Wastwell,
Günter et
Halliwell.
Chroniqué par
Mathias
le 11/01/2006