Saul Williams est un personnage charismatique, à la fois héros du slam, figure de griot, poète, et prêcheur érudit. Après l'ésotérique et flamboyant
Amethyst Rock Star, il livre un second album éponyme, sorti Outre-Atlantique en 2004 sur le label du magazine américain Fader, et désormais disponible pour l'Europe grace à Wichita.
I ain't got proper diction for the makings of a thug, though I grew up in the ghetto and my niggas all sold drugs (
Talk to strangers). Moins mystique, plus politique dans le message et direct dans la forme (le style télégraphique d'
African Student Movement), Saul n'est jamais aussi vindicatif que lorsqu'il s'agit de diagnostiquer sur la situation contemporaine de la culture hip-hop. Il y emploie sa verve sur une bonne poignée de titres. C'est
50 Cent qui sert ainsi d'exemple et fait l'objet d'une parodie sur
PG. Par réaction,
Saul Williams dessine l'idée d'un rap qui puiserait son énergie dans le passé collectif (le rejet de l'esclavage) et aurait une portée visionnaire, au-delà de l'éternelle chronique du quotidien.
On retrouve nettement ces aspirations sur le plan sonore : Saul programme lui même plusieurs instrumentaux à base de batteries martelées, basses étouffées ou saturées (presque des alarmes sur
Control Freak, qui rappelle son fameux
Coded Language enregistré avec
Dj Krust), pour lesquels il revendique la dénomination d' "indus punk hop". Avec à propos car effectivement, sa musique échappe aux écoles rap reconnues pour s'approcher du rock militant US. On ne s'étonnera alors pas de la participation de
Zack de la Rocha (
RATM) pour un refrain, aux côtés de
Thavius Beck aka
Adlib (machines) pour le morceau de bravoure
Shakespeare. Une interpellation sans détour (
It's just coincidence that oil men would wage war on an oil rich land.), des mélodies électroniques tournoyantes et des éclats électriques s'y noient dans une même fièvre rebelle. C'est en fait le seul réel moment qui atteint l'ardeur de titres comme
Om Nia American sur le précédent disque.
Le reste n'est pas dénué d'intensité pour autant :
African Student Movement fait résonner des glocks et des basses de style UK, quasi grime, dans une sobriété agressive ;
List of demands et
Surrender sont de ces titres chargés, tapageurs où Saul donne dans la performance parfois braillarde. Arrivé à ce stade de l'album, cela peut devenir éprouvant, mais c'est là aussi que réside son originalité et son talent : qu'il dramatise ses intonations ou pose de manière très spontanée, l'Américain possède un surcroît d'implication vocale qui capte inévitablement l'attention, pour mieux la porter sur les lyrics.
La question raciale aux Etats-Unis y reste une thématique fondamentale, en témoigne cette sentence entré deux riffs de guitares aiguisées à l'extrême, sur le pugnace
Grippo : "
White boys listen to white boys. Black boys listen to black boys. No one listens to no one.". Qu'on soit touché ou non par ces problèmes, force est de reconnaître l'efficacité stylistique déployée quand le racisme ne se raconte plus en généralités mais à la première personne : "
I dreamt of being white and complimented by you, but the only shiny black thing that you liked was my shoes" (sur la chanson
Black Stacey, qui fait partie des franches réussites).
Saul Williams réussit le challenge de faire redevenir cruciales, pour l'espace d'une écoute du moins, des revendications rabachées par des rappeurs "conscients" de tout sauf de leur propre paresse. Ce succès tient tout entier à l'aura d'une musique et de textes enragés, canalisés désormais, gagnant en efficacité ce qu'ils ont perdu de sauvagerie. Une mission accomplie pour l'artiste engagé, un impact saisissant pour l'auditeur - impliqué ou non.
Chroniqué par
Guillaume
le 29/10/2005