Culte, re-culte et archi-culte : voilà ce qu'on se dit en 2005 avant de poser une oreille sur
Operation Doomsday, premier opus du désormais célèbre MC à la voix si reconnaissable, chargée d'alcool et d'herbe. Aujourd'hui,
Doom est un MC qui compte : production pléthorique, collaborations prestigieuses (impossible d'oublier son génial Madvillainy avec
Madlib à la prod), textes envoûtants et surtout, son personnage de Supervillain, véritable mythe populaire dopé à la culture seventies et comics. Avec tout ce background, le chroniqueur est un peu fébrile à l'idée de parler de ce premier opus, qui plus est quand son indisponibilité actuelle dans les bacs l'entoure d'une aura mythique qui en fait un objet quasi religieux. Mais qu'à cela ne tienne, allons-y !
Plus qu'un album,
Operation Doomsday est d'abord une histoire, certes éclatée en 19 vignettes, mais où se retrouve une continuité thématique. L'introduction (
The time we faced Doom) nous aspire immédiatement dans cet univers bricolé à coups de samples de séries TV, de voix ténébreuses de méchants de comics, de BO funky et hollywoodiennes et de bruitages de dessins animés. Où l'on apprend le projet de
Doom : "The destruction of every major cities on earth". Tout un programme, avant que
Doom ne fasse son entrée, et qu'une gentille secrétaire s'étonne : "Would you believe it ? It's Doom on the phone !" C'est parti pour une virée entre productions old school gonflées à coups de synthés vintage et eighties (que
Fuzati semble avoir particulièrement apprécié, en témoigne
Vive la vie du
Klub des loosers !), samples de bop ou de big bands, voix soul et laid back : derrière le lo-fi revendiqué des collages sonores,
Doom voit les choses en grand et absorbe toute sorte de sons hétérogènes pour accoucher d'un album qui revisite l'histoire de la musique populaire en même temps qu'il lui impulse une nouvelle direction, une nouvelle fraîcheur.
Operation Doomsday est en quelque sorte une seconde voix du hip hop underground : un peu avant
Prefuse 73 et
Anti-Pop Consortium, qui allaient lancer le hip hop dans un mariage explosif et inouï avec l'électronica,
Doom se tourne vers le passé pour mieux inventer l'avenir. Aujourd'hui encore, force est de constater que le son n'a pas vieilli, qu'il est toujours aussi frais, excitant, intense, stimulant.
Une histoire, donc, et presque une épopée de la fin du monde. Chaque morceau est une vignette d'un ensemble narratif éclaté, où l'auditeur a le loisir de dessiner son propre parcours, où la continuité thématique entre chaque morceau permet à l'auditeur de laisser galoper son esprit dans le petit monde chic et toc du MC. Au milieu de tout cela, il y a
Tick Tick, sorte d'épicentre de l'album au son trafiqué, qui semble avoir fait explosé l'édifice narratif de
Doom : "slow it up speed it up slow it up speed it up, bruise it up tick tick tick tick MF blow it up… booom !" Le temps semble soudain se dilater, les samples de cordes et la voix fonctionnent au ralenti : c'est le tourbillon qui aspire l'auditeur et tout l'univers de BD de l'album avec lui. C'est dire si cet album est magnétisant et hypnotique : la production old school, les beats catchy très eighties qui rappellent
GrandMaster Flash, la petite touche de funk, le phrasé incantatoire de
Doom sur des titres comme
The Finest, tout est fait pour rendre le son irrésistible et jouer sur la nostalgie d'un auditeur qui partage les mêmes références que le MC et qui regrette, d'une certaine façon, l'époque bénie des eighties en matière de hip hop.
Doom assoit ainsi son pouvoir sur les foules… pour mieux les ravir. Pourtant, malgré toute cette nostalgie, et cette douceur soul et laid back qui émane de certains titres, le son de
Doom sait se faire agressif, subversif : sur
The hands of Doom, les samples funky, les bruits d'explosion et de foule nous montrent un MF qui a revêtu sa panolie de terroriste de BD, de même que
Hey ! multiplie les références au cinéma Blaxploitation et à ses BO. "He doesn't care about nobody", lâche brièvement un sample de voix dans le chaos sonore ambiant :
Doom suit sa propre voie de MC sans compromis, sa démarche de subversion formelle et générique, de récupération de tout ce qu'offre la sous-culture américaine des seventies et des eighties. Une fois qu'ont été absorbés tout ces éléments, ces "autres", il peut clamer ne s'occuper de rien d'autre que de lui-même, de son travail. Le personnage a absorbé le MC,
Doom est tout entier dans
Operation Doomsday. Il y aurait encore beaucoup à dire de cet univers et de ses mythes, mais peut-être vaut-il mieux que vous les exploriez par vous-mêmes :
Operation Doomsday sera bientôt réédité sur Rhymesayers. Ne ratez pas cette occasion de faire un bout de chemin aux côtés du supervillain !
Chroniqué par
Mathias
le 01/05/2005