Actifs depuis 2007 mais se faisant de plus en plus rares aujourd'hui, les britanniques de These New Puritans ont depuis leur troisième album Field of Reeds (2013) largué les amarres vers une art-pop hautement sophistiquée empruntant autant à la noirceur expérimentale des derniers albums de Scott Walker qu'au spleen lumineux du Talk Talk de la dernière période (les chefs d'œuvre Spirit of Eden et Laughing Stock). Et c'est au rythme d'un album tous les six ans que nous revient maintenant ce groupe s'articulant autour des frères jumeaux Barnett et prenant donc le temps nécessaire pour peaufiner des œuvres peut-être inégales mais toujours traversées de remarquables fulgurances en clair obscur.
Leur précédent album Inside The Rose nous offrait par exemple, parmi quelques chansons rock plutôt en deçà se situant entre Depeche Mode et Nine Inch Nails, un enchaînement captivant de compositions sachant déployer des trames sonores à la profondeur insoupçonnée : Anti-Gravity / Beyond Black Suns / Inside The Rose. On sait que la musique parfois abyssale de These New Puritans peut ainsi nous réserver quelques miracles et c'est pour cette raison que nous attendions assez fébrilement ce nouvel album toujours produit par Graham Sutton de Bark Psychosis.
Crooked Wing nous accueille par un chant séraphin (Waiting) donnant un peu l'impression d'être à la messe en laissant peut-être craindre un virage qui aurait basculé dans la bondieuserie. La beauté de cette ouverture fait toutefois vaciller ces craintes qui s'évaporent complètement dès le deuxième morceau. En convoquant à la fois le piano mélancolique du regretté Ryūichi Sakamoto, les phases au vibraphone de Steve Reich et le chant enveloppant de Paul Buchanan (The Blue Nile), Bells ouvre la palette sonore auparavant darkwave de These News Puritans sinon à la grâce, du moins à un certain apaisement. L'album garde certes quelques morceaux plus torturés dans sa besace (A Season in Hell, Wild Fields) mais, dans l'ensemble, il semblerait que la musique malade du groupe serait ici en voie de guérison.
L'album poursuit son envol sereinement mais ses ailes ne sont pas pleinement déployées, elles seraient courbées nous dit-on dans le titre, ce qui donne à entendre une œuvre sans véritables "temps forts", quasiment en demi-teinte. Pourtant Crooked Wing nous cueille à chaque chanson, comme sur ce duo flottant avec la chanteuse Caroline Polachek (Industrial Love Song) nous contant l'histoire d'amour entre deux grues de chantier (sic), ou lors de cette petite odyssée hors des affres du monde rappelant elle aussi la pop magnifiquement enlevée de The Blue Nile (I'm Already Here, autre sommet de cet album qui n'en manque pas), ou encore avec cette chanson chamber-pop qu'aurait presque pu écrire Tears For Fears à son meilleur (The Old World). Sur la fin, les chansons s'étendent et s'aèrent en s'emplissant de lumière (Crooked Wing) ou suspendent le temps sur un air jazzy d'une mélancolie rare en nous invitant à faire de beaux rêves (Goodnight). Crooked Wing n'est peut-être pas la grande œuvre après quoi semble courir These New Puritans depuis longtemps, mais c'est un sacré album quand même, au sens littéral comme au figuré.
Chroniqué par
Romain
le 25/05/2025