Protomartyr

Le mois de juillet fut en partie marqué par quelques sorties à ranger dans la case post-punk, une case qui déjà à son époque (1978-1982) couvrait pléthore de sous-genres et qui, avec la scène revival d'hier et d'aujourd'hui, sait encore se transformer en de nouvelles formes plus ou moins intriguantes voire revigorantes. Le premier album du collectif canadien Crack Cloud en est assurément un, mais semble inverser sous ses allures impressionantes de bulldozer post-punk ce qui définissait aussi ce genre à la base : peu de technique, beaucoup d'idées. Il y a ainsi dans Pain Olympics trop de technique au service de si peu d'idées autres que celle d'aller piocher partout ailleurs sans hélas pouvoir s'extraire par une identité musicale sinon forte du moins singulière. Cette identité, les irlandais de Fontaines DC l'ont à n'en pas douter depuis leur excellent premier effort Dogrel de l'année dernière auquel ils ont déjà donné une suite. A Hero's Death se situe tantôt dans la continuité de son hargneux prédécesseur tantôt dans l'ouverture à de nouveaux territoires plus cold wave, plus soignés et texturés aussi, offrant çà et là quelques chansons assez ravissantes (You Said et Sunny).

Nous arrivons enfin au disque qui nous intéresse, celui de Protomartyr, groupe originaire de Détroit ayant déjà creusé son trou dans la scène disons post-post-punk depuis un peu plus de 10 ans en livrant des albums notamment marqués par le chant scandé et teigneux du regretté Mark E. Smith (The Fall). Leurs trois précédents albums (Under Color of Official Right en 2014, The Agent Intellect en 2015 et Relatives in Descent en 2017) avaient placé la barre si haut que nous craignions une baisse de régime de la part du quator. Plus court (40 minutes), plus éclaté dans l'enchaînement de morceaux éparpillés façon puzzle dont la plupart restent moins imparables que par le passé : de nombreux éléments montrent en effet certains signes d'essouflement sur ce cinquième cru de Protomartyr. Ultimate Success Today fait pourtant son petit chemin au fil des écoutes, puis révèle au fur et à mesure ses nombreuses subtilités dans les détails, et c'est bien connu : le diable se cache dans les détails.

Day Without End ouvre le bal sur un crescendo de tension électrisante, un procédé que Protomartyr maîtrise maintenant à la perfection. La suite sera plus sinueuse et parsemée de nouveaux éléments : une voix féminine angélique placée au cœur de l'album (l'hypnotique June 21 ci-dessous), un saxophone ou encore un mélodisme flirtant clairement avec la pop (le finale Worm in Heaven). Pour le reste, la formule du groupe n'a pas foncièrement changé et offre un miroir de plus en plus malaisant à l'époque désenchantée que nous vivons. La force de Protomartyr réside alors dans cette faculté à faire ressurgir de cette noirceur opaque quelques instants de lumière et de grâce. Citons les ponts de Michigan Hammers (ci-dessous), The Aphorist ou encore la valse crépusculaire Bridge & Crown où le chant de Joe Casey se fait quasiment lyrique. Toujours soudé par un trio de musiciens hors pairs (Greg Ahee à la guitare, Scott Davidson à la basse et Alex Leonard à la batterie), le groupe perfectionne peut-être ici son art du contraste et laisse s'entrechoquer certaines forces contraires comme la violence et la retenue, le bruit et l'harmonie, le calme et l'urgence. En résulte un album certainement déstabilisant et retors de prime abord, mais totalement aventureux et riche en reliefs cabossés. Ultime Success Today achève d'imposer Protomartyr parmi les grands groupes du renouveau post-punk. "Post-punk not dead".