Enablers, chapitre 6. Une fois de plus on serait tenté de tristement se répéter et d'utiliser les mêmes mots pour définir ce qui émane de ce nouvel opus du quator californien. A l'image des Nymphéas de Claude Monet, les albums d'Enablers seraient alors toujours pareils et jamais les mêmes, dépeignant à chaque album une nature à la beauté sauvage sans cesse renouvelée, puisant autant dans les circonvolutions de la noise chicagoane des 90's (Slint, June of 44, Rodan..) que dans la poésie moderne via les spoken words d'un Pete Simonelli parfois proche du rugissement.
Quatre ans après l'excellent The Rightful Pivot et son Look resté dans nos mémoires, Zones redémarre ainsi la machine implacable du groupe. Toujours clinquante après quinze ans de carrière, cette machine à l'assemblage loin d'être évident semblera sûrement retorse pour le néophyte mais restera tout aussi excitante pour celui ayant déjà foulé les chemins sinueux et graveleux des œuvres précédentes. A ceux qui connaissent déjà la recette, on leur dira que rien a changé dans les grandes lignes et c'est tant mieux. Pete Simonelli pose sa voix grave sur des arpèges en mode mineur, ceux des talentueux guitaristes Joe Goldring et Kevin Thomson jouant toujours autant au chat et à la souris, et sur une batterie (celle de Sam Ospovat pour la seconde fois) au diapason des humeurs changeantes de compositions à la frontière du post-rock. On dit bien "à la frontière" car de post-rock il n'en sera jamais vraiment question ici, ce dernier est d'ailleurs stoppé net lorsque ses schémas éculés d'ascenseur émotionnel commencent à pointer le bout de leur nez. Sur Zones notamment, pièce de 11 minutes faisant atterrir le vol d'un album aux multiples secousses sur le drone ambient d'une mer diamant.
Enablers préfèrent plutôt emprunter les itinéraires bis, ceux plus accidentés mais ô combien plus stimulants de l'improvisation et des structures biscornues, de la tension palpable et des fausses accalmies, des dissonances et des lignes fracturées, de la soupe au lait et de la violence contenue qui devient explosive. Justement Zones l'est particulièrement, explosif, nerveux même, le compteur dans le rouge deux morceaux sur trois. Zones sensibles donc, ou zones radioactives à déserter d'urgence, ou encore zones d'anguilles sous roche avec toute l'électricité que ça inclue. Zones poétiques surtout, celles d'un groupe majeur à la singularité toujours aussi tourmentée signant là une nouvelle pierre aussi belle que nocive à son édifice.
Chroniqué par
Romain
le 17/06/2019