Huit ans après The Campfire Headphase, Boards of Canada signe un nouvel album, que d'aucuns considèrent déjà comme le meilleur de leur discographie. Le meilleur ou pas, à vrai dire, ce n'est pas si important que ça. Ce qui l'est plus, en revanche, c'est la qualité propre de Tomorrow's Harvest. Autant le dire sans détour, Tomorrow's Harvest ne révolutionne rien. Mais il fait sans doute mieux que ça. Il surprend par sa simplicité et sa richesse, par la façon dont les rythmes se croisent et se distancent, la manière dont un beat se continue monotone cependant que des boucles se superposent, s'allient pour créer un tissu sonore dense (Jacquard Causeway). C'est un art rare de faire sortir quelque chose de bon d'une manière de composer qui est désormais devenue banale. Longue nappe de synthétiseur, mélodie émouvante, beat qui se construit progressivement dans la durée (Reach for the Dead). Mais je voudrais surtout parler de cette sensation de torpeur dont on n'arrive pas à se déprendre, comme une longue dérive, un long mouvement sans interruption, quelque chose de calme et d'ambigu aussi, et qui me semble être l'âme du disque. C'est peut-être Split your Infinities qui en est le meilleur exemple : ces voix qui émergent, qui parlent ou qui chantent. L'étrangeté soudaine de ce que l'on croit bien connaître, des spectres musicaux, des messages de l'au-delà dont nous ignorons tout, mais que nous parvenons toutefois à comprendre. Nothing is Real dira un autre morceau, qui a recours à un procédé similaire. Certes, mais rien n'est irréel non plus. Tout se joue dans cet entre-deux, dans les allées et venues entre la réalité et la fiction, entre le rythme et la nature abstraite des sonorités, entre ce qui fixe et ce qui transporte, ce qui appelle et ce qui répond. Ce qui va arriver. C'est New Seeds, trafic de textures analogiques, élaboration à partir de presque rien, la musique qui s'invente au fur et à mesure pour faire face au caractère hasardeux de notre histoire.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 04/07/2013