D'un certain point de vue, la musique de Steve Reich s'est affadie avec le temps. Elle a perdu de sa radicalité, elle a perdu ce charme presque absolu des pièces comme
Come out,
It's gonna rain,
Clapping music, cette dimension qui lui a valu le surnom de "minimaliste", et qui tient moins à une qualité interne en quelque sorte à la musique elle-même, qu'à une volonté de trancher avec l'avant-gardisme européen du début du vingtième siècle pour donner lieu à une musique dans laquelle rien n'est caché, qui s'ouvre à des traditions non-occidentales et place la transe au-dessus de la pensée, la sensualité avant le concept, le son avant le langage. Entre
Piano phase et
Different trains (qui introduit des éléments vocaux narratifs et des données autobiographiques), la force inaugurale de la nouveauté s'est progressivement estompée. C'est nécessaire, si l'on veut, la nouveauté ne pouvant pas — par définition — toujours rester nouvelle.
Toutefois, cette nouvelle parution a au moins un intérêt. Celui de montrer avec
2x5 comment le compositeur s'ancre résolument et toujours dans son époque. Car, c'est une manière de leçon de post-rock / math-rock / electronica (dans une forme instrumentalisée) à l'envers que nous propose Steve Reich avec cette pièce de 2008 enregistrée par Bang On A Can. C'est-à-dire : comment l'inventeur (ou l'un des inventeurs pour être plus exact) du prétendu "minimalisme" réinvente à son tour la manière dont on l'a interprété depuis plus de quinze ans. Ainsi de cette orchestration rock et de cette volonté de sonner comme tel qui donne à la musique de Steve Reich cet aspect toujours actuel alors que ses origines remontent aux années 1950. Mais, ce n'est pas tant le son qui compte que la manière dont ce son fait percevoir la musique : actuelle. Non pas parce qu'imitant ou tentant de se maintenir à la mode du moment, mais bien plutôt parce qu'elle fait entendre comment de
Tortoise à
Tristan Perich en passant par
Rachel's et
Battles, la musique de Steve Reich a profondément marqué la fin du vingtième et le début du vingt-et-unième siècle.
Et on se dit alors que la musique de Steve Reich ne s'est peut-être pas tant affadie que cela. S'il lui manque la radicalité des commencements (mais, derechef, comment peut-on être toujours radical ?), c'est peut-être aussi parce qu'on s'approprie sans cesse sa musique, y ajoutant l'énergie du rock, la puissance de la saturation, la profondeur de l'électronique ou, à l'inverse, sa simplicité. À ces extrêmes comparée, sa musique est en effet moins percutante. Reste que tout y est. Tout y a toujours été. Depuis cinquante ans, au moins.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 27/10/2010
http://www.dMute.net
par Jérôme (le 18/11/2010)
@ Dionys : Où peut-on lire cet article ?
http://inactuelles.over-blog.com
par Dionys (le 13/11/2010)
C'est le titre de mon article consacré à ce disque magistral. Pas de rupture, de bouleversement, certes. Mais un compositeur au sommet de son art : l'équivalent d'un Bach, c'est peu dire ! Tout y est, en effet.
Dionys