Depuis l'intrusion dans le hip-hop comme dans notre quotidien de la folie et de la roublardise de
Steven Ellison aka
Flying Lotus, beaucoup, nous les premiers, ont fantasmé sur le personnage et son possible avènement au rang de Grand Alchimiste du beat making.
Ce producteur allumé, influent autant que sous influence, n'est assurément pas accro à la Ritaline. Responsable d'un nombre de remixes conséquents, présent derrière les manettes de quelques disques -
Gonjasufi,
José James lui disent merci ! -, le bonhomme récidive avec
Cosmogramma, son dernier long format, celui selon ses dires qui devrait clore un chapitre de sa vie et lui permettre de passer à autre chose. C'est tout le bien qu'on lui souhaite, tant à l'écoute de ces dix-sept titres, on a craint pour sa santé mentale.
Au mépris des règles élémentaires que dicte la raison au commun des mortels, notre Angeleno nous propose là un croisement hirsute de breakbeats possédés, de groove décérébré (la basse de
Thundercat omniprésente, très
Prefuse par endroit), comme agencé lors d'une jam session jazz. Un cut-up halluciné...Une putain de partouse sonore !
De prime abord assez nébuleuse, quand son précédent opus semblait lié à un concept fluide, un fil rouge cinématique et urbain bien visible, la découverte de
Cosmogramma relève d'une sacrée gageure. On est carrément dans l'expérience sensorielle. Un véritable trip sonore, foisonnant et évolutif. L'instantanée psychédélique de la cosmogonie d'idées en révolution permanente dans ce crâne volant.
Rien d'étonnant alors de retrouver dans ce souk sonique, plus ou moins concerné,
Thom Yorke (
...And The World Laughs With You),
Laura Darlington Madame
Daedelus à la ville (l'éthérée
Table Tennis),
Dorian Concept (
Satelllliiiiiiiteee), son cousin
Ravi Coltrane. Et pour les aïeux disparus, de drôles d'hommages (
Auntie's Harp pour Tata Alice,
Arkestry pour
Sun Ra). Autant d'énergumènes en proie eux aussi aux dérapages cosmiques.
Parce que trop souvent aux portes de l'hystérie, qu'il s'emploie à exploser avec un entrain un brin inquiétant,
Ellison n'accède pas, avec cet opus, à la dernière marche du podium, place revendiquée par les fans de la première heure, que nous sommes aussi, malgré quelques réserves.
En toute subjectivité, l'enchaînement de ces morceaux, certes de bravoure mais bien trop brefs pour avoir le temps de s'y perdre (excepté un ou deux titres dont
Do The Astral Plane, génial Doo-Wop house de l'espace), dessert le projet de mythification. Le principe d'immersion qui nous avait conquis sur
Los Angeles, éclate sous l'impact frénétique d'une imagination bien trop débordante, ou du moins pas assez canalisée.
Par contre, là est bel et bien confirmée cette réputation de sorcier des studios. Techniquement parlant, il emporte la palme haut la main. Peu en sont à ce niveau d'excellence et de créativité.
Ce qui se confirme également, pour peu d'en douter encore, c'est que
Flying Lo' n'est plus tout seul dans sa tête depuis un bail, pour le plus grand plaisir des "musicopathes" d'ici-bas...Et d'ailleurs. Il est clair que dans un coin reculé d'une constellation perdue aux confins de l'univers, on écoute à s'en péter l'échine ce disque hybride fascinant, habité autant que sauvage. Un pallier dans la vie d'un artiste total, sans cesse à l'affut, au croisement de l'avant-gardisme et de la spiritualité.
Ce qui est moins sûr, en ce qui nous concerne, nous pauvres Terriens, c'est d'avoir compris réellement les tenants et aboutissants de cette musique et de cette démarche. Pas si facile pour tout vous dire d'avoir un avis bien tranché. Trop court ? Trop brouillon ? Savant ? Futuriste ? Le doute persiste. Affaire à suivre, en somme !
Chroniqué par
Yvan
le 29/05/2010