Il faut que la musique te sorte de ton immobilité. Il faut qu'elle te tire et qu'elle t'arrache. Il faut qu'elle change ton corps en une masse malléable. La musique, c'est la sculpture de ton corps dans l'espace et dans le temps. Il y a d'ailleurs une musique si éduquée, si évoluée qu'elle en redevient sauvage parce qu'elle parvient à te faire changer d'état à son gré. Elle te comprime et elle t'étire. Elle te laisse sur place et elle t'envoie en l'air. Il y a d'ailleurs une musique qui est à ce point pleine de contrastes qu'elle te fait tout ça en un temps record : les trois quarts d'une heure, tout au plus. Il y a une musique qui se sert de tout, de toutes les ressources pour te prendre et te laisser, t'attirer et te chasser. Il y a une musique qui tape dans ses mains, martèle, éructe, électronise, chante en chœur, mélodise et explose, hurle, sature, se replie sur elle-même, se déploie autrement, dans un refrain, une manière de te mettre en tête ce qu'elle t'avait fait croire impossible l'instant d'avant.
Il y a ce groupe dont on ne cesse de dire qu'il compte parmi ce qui se fait de meilleur depuis quatre ans. Ça s'appelle
31Knots. Ça a toujours une longueur d'avance. Non pas parce qu'il serait particulièrement avant-gardiste — de fait, il l'est bien moins que d'autres. Mais, parce qu'il sait et qu'il a toujours su mobiliser depuis quatre ans toutes les ressources disponibles : de la chanson, du rock le plus brut, du riff le plus sophistiqué, de la rythmique la plus rude et fine.
Worried Well porte un peu plus haut ces valeurs. Plus de folie, plus d'idées encore (comme si c'était seulement possible). Entrée en matière lourde et puissante tous ensemble — basse + batterie + basse — et puis, trois minutes sans se relâcher, mais en superposant les idées, les voix, les sonorités — une seule intention répétée et arrêtée nette par un piano, juste avant son déclin (
Certificate). Dialogue avec un chœur de femmes au beau milieu d'une pièce impossible (
Compass commands). Synthétiseur et échantillon pour un quasi-r'n'b qui se salit lui-même sous des taches de math-rock (
Upping the mandate). Trucages ambient pour faire une ballade (
Take away the landscape). Et encore : manies typiquement à la
31knots, ça veut dire : capacité à rompre toujours le tempo, créer une dynamique homogène sur le fond de parties honnêtement hétérogènes (
Stange kicks). Et encore (bis) : des grooves batterie + batterie dont le seul but inavoué pourtant est de t'entraîner vers un irruption de voix. Extravagantes, oui, forcément (
Opaque).
Je n'aime pas me répéter, mais qu'importe :
31Knots, c'est encore ce qu'il y a de meilleur.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 04/09/2008