"En art, il est difficile de dire quelque chose d'aussi bon que : ne rien dire". (*)
Entre ne rien dire et tout dire,
Alaska pipeline, semble-t-il, aura choisi tout de suite la solution maximale. Tout ou rien, c'est ainsi. Donc, tout. Pas d'hésitation : jeter toutes ses forces dans la bataille, ou plutôt dans la fête (
What party ?), c'est immédiat. Dès le premier titre, même si ce n'est pas une messe, tout est dit. Tout est établi de l'énergie, de la subtilité aussi, de la puissance ou de l'émotivité, dans cette voix que le groupe revendique lui-même comme "emo". Et, quitte à tout dire, on choisira aussi de simplement chantonner les riffs, multiples et toujours aussi précis — poignants quoique percutants — que les chansons assènent puis distillent pour les raffiner (
Wasted voice).
À l'unisson, laissant tout juste à la voix la place de se faire reprendre au vol,
Alska pipeline sont comme des adolescents qui auraient pris le temps de grandir sans oublier qu'ils l'ont été ou qu'ils le sont encore, adolescents, donc, punk (sans doute), c'est-à-dire radicaux dans leur choix, et post-punk, c'est-à-dire attachés tout de même aux qualités mélodiques, sans dire pop, de leur musique. Et quand, sur
Leftbrain, comme un clou délirant dans leur spectacle, une sorte de jazz swing se fait entendre, c'est bien de ça dont il s'agit : une voix de la raison qui s'exprime ("hémisphère gauche de leur cerveau"). Mais seulement pour mieux se faire botter les fesses dans un style imparable, de dessiner une chanson, à peine, de revenir quand même, et de repartir la queue entre les jambes. En moins de deux minutes, on l'avouera sans hésitation, le tour est de force sans jamais être forcé.
Alors, on se dit que c'est ça la musique d'
Alaska pipeline : quelque chose qui se situe à la frontière entre l'envie de bien faire, et de le faire bien, oui, vraiment, en effet, voire avec une certaine excellence, et l'envie de tout envoyer en l'air. Et, après avoir bien avoir exposé sa leçon de post-rock (la fin de
Lightbulbs, qui avait commencé tout autre, mais minutieusement), l'envie simplement de taper dans ses mains et sur le ton que donne la grosse caisse, riff math-funk à l'appui, d'envoyer tout ça balader. Advienne que pourra, en moins d'une minute, on n'a pas trop le temps de se poser de questions. Or, quand les questions sont éludées comme ça, c'est tout simplement pour le meilleur (
… Then he crashed).
Sept morceaux, treize minutes, format implacable — les disques Bolton Wonderland Records qui avaient eu l'heur de sortir le deuxième disque de
fago.sepia en 2006, ne s'y sont pas trompés.
(*) Ludwig Wittgenstein,
Remarques mêlées, Circa 1932-1934.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 08/01/2008