Sur la cime des arbres la brume s'accroche encore. Les lampadaires vomissent leur lumière blafarde et dégueulasse, donnent aux voyageurs qui attendent sur le quai des airs de spectres. Je monte les marches, amorphe. Dans le train, je cherche une place et m'y pelotonne, les bras croisés, le nez emmitouflé dans mon écharpe ; un courant d'air fait frissonner mon être tout entier ; je recroqueville les épaules. Les poteaux entament leur marche laborieuse ; les barreaux le long de la voie s'excitent jusqu'à ne plus former qu'un vague mur blanc, transparent mais uni. Les vibrations me bercent. Écrasées par le bourdonnement environnant, les discussions se muent en chuchotements, en rumeurs à peine perceptibles, puis, plus rien. La vitre ébauche maintenant un tableau dans lequel s'agencent le flou et quelques arbres solitaires qui découpent le paysage au loin. Un essaim de libellules avance tranquillement à travers le cadre sans que la vitesse n'ait l'air de l'incommoder. Certaines d'entres elles émettent de légers crépitements de lumière aux couleurs variables ; l'essaim perd de son unité, s'éparpille à travers mon champs de vision ; quelques unes finissent lentement leur course contre la vitre et se désagrègent dans une mort fritureuse, toujours paisible.
C'est alors que l'univers entier s'écroule. Les objets se matérialisent. Le sol gronde. Le tableau se fixe. Un murmure passe à proximité de moi et s'éloigne à tout jamais. Plus tard, la vitesse rend à l'univers sa quiétude laissée de côté pour quelques minutes. Des bris de verres virevoltent tranquillement à l'intérieur du wagon, frôlent la tête de voyageurs qui ne s'en soucient guère et s'assoient comme des plumes. Les sièges se carbonisent ; les parois rouillent ; des plantes grimpent à mes pieds ; j'ai les membres engourdis ; je suis seul dans le wagon ; tout le monde a disparu. Pourquoi ? J'en sais foutre rien. Que l'on ne cesse de comparer le moindre album d'ambient à un voyage musical, pourquoi pas ; mais jamais cela ne sonnera aussi juste que pour
Disfold.
Blamstrain a pris le truc au pied de la lettre ; il s'est attaché à mettre en musique l'inertie de la vitesse, les vagues sensations que l'on peut capter lorsque l'on voyage à moitié assoupi. Dans un souci d'authenticité, il respecte même les cadences entre le rêve et les arrêts qui viennent le perturber, avec son lot d'échos de gare et le susurrement des voyageurs qui les accompagnent. Aussi vrai qu'un bouquin de William S. Burrough ne s'apprécie guère que quand on le lit à cheval entre le songe et l'entendement, ne cherchant pas le pourquoi du comment ni aucune sorte de logique soutenant le tout ; la musique de
Blamstrain s'apprécie dans un état somnolent.
Disfold fixe ses règles d'écoute ; à vous de le rêver.
Chroniqué par
Tehanor
le 15/11/2007
par hayaji (le 03/10/2009)
Le travail des sons est éblouissant, les atmosphères sont d'une richesse incomparable, etc.
Un disque-monde.