Yo La Tengo fait partie de ces groupes mineurs, mais au capital sympathie jamais entamé, dont certains disques (le classique Fakebook, entre autres) gardent un pouvoir d'attraction sensiblement plus élevé que bien des "chefs-d'oeuvre" de groupes plus importants. Ce constat trouve une nouvelle illustration magistrale avec ce nouvel album, copieux et long en bouche.
Difficile, en effet, de ne pas trouver son bonheur sur I Am Not Afraid of You and I Will Beat Your Ass : derrière ce titre, qui en dit long sur la détermination et l'assurance du groupe, se cache un disque à l'éclatement stylistique réellement impressionnant. On passe ainsi sans prévenir, mais avec délice et gourmandise, d'une ballade piano-voix interprétée par Georgia Hubley (I Feel Like Going Home) à une tentative d'hybridation soul / funk / world d'une fraîcheur particulièrement convaincante (Mr. Tough, ou l'alliance inédite de Prince et des cuivres de Stax dans un bar de La Havane), tandis qu'une pop-song légère qui passerait presque pour un titre oublié des sessions du Vintage Violence de John Cale (The Weakest Part) succède à une bombinette punk-rock dynamitée par un break de... cuivres (Watch Out for Me Ronnie, rock'n'roll à souhait).
Etonnamment, malgré ce que peut laisser craindre cette description, ces téléscopages d'influences ne donnent jamais l'impression d'avoir affaire à un exercice de style gratuit ; en effet, malgré une petite baisse de régime en milieu d'album, chaque titre est délivré avec l'aplomb, le naturel et la sincérité d'un groupe qui vient d'enregistrer son premier disque - une performance assez rare pour être soulignée, de la part d'un groupe qui sort en réalité son douzième album en 23 ans d'existence !
Mieux encore : sous le foutoir apparent, règne en réalité un agencement bien précis, comme en témoignent les contours du disque, dessinés par trois pièces épiques d'une dizaine de minutes chacune. Ainsi, l'album s'ouvre d'une manière idéalement offensive sur le krautrock minimaliste (deux accords et basta) de Pass the Hatchet, I Think I'm Goodkind, qui s'inscrit explicitement dans la filiation Velvet Undergound que l'on a tant évoqué à propos de Yo La Tengo ; il est ensuite scindé en deux par une pièce purement atmosphérique (Daphnia), qui permet de faire une halte bienvenue dans ce déluge sonique ; et il s'achève sur un tourbillon bruitiste rappelant le psychédélisme électrique des meilleurs moments de Crazy Horse (The Story of Yo La Tengo).
Cette structuration, plus rigoureuse qu'on ne l'imaginait de prime abord, témoigne en réalité d'une recherche d'efficacité qui ne laisse rien au hasard - et qui donne lieu, à au moins deux reprises, à des moments de pure grâce : ainsi, Sometimes I Don't Get You, avec son vibraphone éthéré posé sur un tempo doucement jazzy, est une pop-song d'une légèreté étourdissante ; et Beanbag Chair ressuscite, en trois minutes chrono, le Hunky Dory de David Bowie, et sa divine pop de music-hall.
Pour ces deux titres, et pour les treize autres aussi d'ailleurs, cet album mérite bien mieux que le respect poli habituellement réservé aux disques de Yo La Tengo. Une écoute immédiate s'impose donc pour les retardataires, sans quoi l'auteur de cette chronique se fera un plaisir de mettre à exécution la menace proférée dans le titre de l'album.
Chroniqué par
Bigmouth
le 18/04/2007