Troisième album de Danielson signé sur l'excellent label Secretly Canadian, Ships impressionne, impose le respect. Il faut dire que Daniel Smith, grand ordonnateur du collectif américain depuis plus de dix ans, aura passé deux ans dans son studio de Clarksboro à chercher. Et à l'écoute, on se dit que ces deux ans n'auront pas été trop pour trouver.
Danielson partage avec Animal Collective une désaffection affichée pour les morceaux structurés et composés dans les règles de l'art, et cultive un goût des ruptures, des contrastes, qui vient casser la belle gueule de la pop incarnée par les Gallagher et Chris Martin. Une esthétique des ruptures qui ne peut s'exprimer que dans le "bruit", ou plutôt dans ce qu'une oreille peu attentive qualifierait de bruit, c'est-à-dire dans ce déchaînement, ce déluge, ce déferlement musical, sans ordre convenu, fait de chant suraigu à la limite du hurlement et d'instruments maltraités, poussés dans leurs derniers retranchements. Mais il faut en effet être passé rapidement sur l'écoute de Ships pour le qualifier de grand n'importe quoi. Il y a évidemment de l'ordre dans ce qui semble n'être que du chaos. Encore faut-il ouvrir suffisamment les oreilles pour l'entendre.
L'effort d'écoute est à la mesure de l'audace et du brio nécessaire à la réalisation d'une telle œuvre. Sur la plupart des titres, Danielson mobilise un grand ensemble orchestral digne des albums de Sufjan Stevens, qu'on retrouve d'ailleurs ici à la flûte et au glockenspiel – Daniel Smith sait choisir ses amis – mais complètement détraqué et utilisé moins pour ses qualités symphoniques que pour sa force de percussion et l'impression d'ampleur. Josiah Wolf et Yoni Wolf de Why? et une dizaine d'autres sont présents, et la réunion de tous ces talents apporte une densité inouïe. Les morceaux, énergiques, passionnés et complexes, regorgent d'idées, et frôlent la saturation.
Si sa musique a tous les atours de l'excès incontrôlé, elle est infiniment plus subtile qu'elle n'y paraît. Daniel Smith sait jouer des nuances. Parfois au sein d'une même piste, la fanfare flamboyante se taisant au profit d'une guitare sèche et d'une voix fragile, Ships navigue entre le faste clinquant d'un Polyphonic Spree complètement barré et une petite ballade folk. Jamais très loin de ses racines folk, voire country, Danielson commet son meilleur album, un manifeste de "freak folk", à la fois terriblement innovant et solidement ancré dans la terre pop. Du grand art.
Chroniqué par
dfghfgh
le 26/10/2006