Shugo Tokumaru cisèle depuis Tokyo, en bon artisan du son, d’élégantes miniatures folks et pops retravaillées au laptop. Entre
Nobukazu Takemura sans la féerie kistsch, et
Takagi Masakatsu, Shugo Tokumaru distille les ambiances et les nuances avec intimisme, à l’unisson de tout un pan de la production japonaise contemporaine.
Etrange, me dis-je à l’instant, que le Japon soit représenté, musicalement (mais c’est valable aussi pour leur production cinématographique – il n’y a qu’à comparer Takashi Miike et Kore-Eda Hirokazu), par deux extrêmes : d’un côté des groupes de musiciens complètement siphonnés, pratiquant une musique noise violente et extrême (allons-y pour le petit couplet sur
Merzbow), de l’autre toute une frange d’artistes qui font une excessive démonstration de poéticité et d’émotion (
Mono pour le post-rock par exemple, mais aussi les sus-cités
Takagi Masakatsu et
Nobukazu Takemura, ou encore, malgré tout le bien que j’en pense, Katsuhito Maeda, aka
World’s End Girlfriend).
Si
Shugo Tokumaru n’était accompagné de sa guitare espiègle (
Mizukagami ou
Amayadori) et bucolique (
Mushina, sous le couvert des peupliers), prompte à déjouer toutes les attentes, dénouer toutes les tensions dans une coolitude absolue, il pourrait faire l’objet de ce grief, cette poéticité excessive, trop visible, exhibée, et donc anti-poétique, forcément (mot d’ordre : la poésie n’est pas dans la démonstration, elle est dans l’écart).
Virtuose sans le savoir et sans forcer,
Shugo Tokumaru introduit ses auditeurs à un monde d’aisance, où tout est facile, évident, où rien ne fait problème, en dépit de la complexité de ces patients ouvrages combinant instruments à cordes, électronique, percussions diverses et discrètes, et toute sorte de sons incongrus. La musique de Shugo n’a rien pour inquiéter, pour perturber : c’est un choix, presque une éthique, mais, sans nul doute, nous avons aussi besoin d’une musique qui lève ainsi tous les troubles.
Chroniqué par
Mathias
le 21/05/2006