Dans la jungle inégale des jeunes jazzmen français,
Stéphane Spira fait figure d’original. Jadis partenaire du pianiste
Michel Graillier (qui collabora aussi avec
Steve Lacy,
Chet Baker ou
Pharoah Sanders), le saxophoniste a dirigé son premier enregistrement studio sans chercher une seule fois à vouloir faire moderne. Quand la plupart de ses collègues s’engouffrent dans le piège d’une électronique qu’ils ne savent pas estimer – et donc, ringarde – ou rêvent, pacificateurs superbes, d’embrasser des us et coutumes qui les dépassent sous prétexte de croiser chaque jour une foule cosmopolite dans les couloirs du métro,
Spira a préféré construire un disque de facture classique, certes, mais à l’intelligence devenue rare.
Encouragé par les gimmicks efficaces du piano d’
Olivier Hutman (
Five Times a Day) ou de la contrebasse de
Gilles Naturel (
Bric à Broc),
Spira déroule son phrasé infaillible, évoquant ici au ténor le
Coltrane de
Blue Train (
L’excès à petites doses), rappelant sur
Nazza Cannonball Adderley, ou appliquant sur
R.V. Bossa, auprès de l’invité au bugle
Stéphane Belmondo, la sérénité rassurante de
Stan Getz.
Amateur de contrastes délicats,
Spira dépose toute sa sensibilité le temps d’un standard (
The Peacocks) après avoir évolué avec agilité sur le rythme capricieux de la batterie de
Philippe Soirat (
L’excès à petites doses) et avant d’échanger à nouveau avec
Belmondo un swing plus qu’efficace gonflé par un recours réfléchi à la répétition du piano et de la contrebasse (
Then He Knows).
Bien sûr, à ne pas donner dans les erreurs que propage son époque,
Stéphane Spira risque de se voir refuser clefs institutionnalisées, bons points critiques, et avec eux l’écoute du public déficient, qui ne cessera jamais de bâfrer où on lui montre. L’anticonformisme véritable jamais salué sur le moment, compter sur les retardataires pour louer ensuite plus haut que les autres leur amour des premières heures pour l’artiste passé pourtant sans eux. Ce serait oublier qu’il existe une autre possibilité : qui consiste à écouter aujourd’hui
First Page, même si le nom de
Stéphane Spira est encore ignoré des faussaires culturels, dispersés en salles de concerts où l’on parle et se montre bien plus que l’on écoute.
Chroniqué par
Grisli
le 11/04/2006