En ces temps de revival en tout genre (le revival Acid étant l’un des derniers en date à avoir été réellement excitant) et d’apparitions de musiques ghettos bricolées et assemblées dans une sorte d’art brut collectif, le label
Celluloid, fondé en 1982 à New York par
Bill Laswell, propose un regard en arrière salutaire sur le proto-hip-hop, et ajoute dans le même temps une brique nécessaire dans le mur des archivistes de la musique électronique.
Proto-hip-hop, c’est ce à quoi ressemble cette musique des années 80 qui hybride à la disco, au funk, au jazz et à toutes sortes de sons synthétiques dérivés des musiques électro-acoustiques plus savantes les beats saccadés de
Grandmaster Flash,
Afrika Bambaataa ou
DJ Kool Herc. Un son fondé sur les electronic beats, comme on les appelait alors, et qui annonçait, on s’en aperçoit à présent, l’actualité électronique la plus contemporaine, quelque chose d’absolument brut, sec, tirant son efficacité de rythmiques heurtées et de sonorités anguleuses, fondé avant tout sur l’impact sonore, le choc du battement plus que l’euphonie ou la séduction musicale. Et surtout, un son analogique qui anticipait, dans ses balbutiements, les modalités de la production digitale actuelle. Revenir à ces débuts, c’est effectuer une boucle par laquelle on réassocie
Modeselektor et le
Herbie Hancock de
Rock It.
Au menu, deux disques des plus roboratifs, bourrés à craquer de morceaux rares issus des 45 tours originaux et qui n’hésitent pas à multiplier les retours et les variantes (
Change the Beat, présent en pas moins de trois versions, dévidant son fantasme de détective blaxploitation sur une durée conséquente, ou
Wild Style). Musicalement, le canon sur lequel se modèlent la plupart des morceaux présents ici est
Future Shock de
Herbie Hancock, son morceau titre et le reste de l’album : un son saturé de syncopes et de breaks, un battement frénétique et épileptique, où le swing est lentement évidé et expulsé par une électricité qui, s’immiscant au cœur de l’écriture et de la production (
Doriella du Fontaine), exige un son plus violent et des chocs multiples sur l’auditeur. Des titres qui tendent souvent à l’arythmie dans leur volonté de binariser à l’extrême le groove, de surmarquer la pulsation : ainsi de
Cuts It Up, de
Makossa Rock, ou encore de
Zulu Groove, où les percussions métalliques insèrent au cœur de cette musique urbaine et électronique une tribalité incantatoire qui est, encore maintenant, l’horizon idéal d’une certaine musique électronique.
En fin de compte, cette compilation apparaît entre autres et surtout comme une confirmation du pouvoir de la musique : en rappelant que tout (ou presque : tous les possibles en tous cas) était posé dès l’origine, elle donne la satisfaction de penser que, peut-être, la musique peut échapper un tant soit peu au temps. Stimulant et nécessaire.
Chroniqué par
Mathias
le 17/03/2006