Située dans la lignée de
Prefuse 73, la musique de
The Considerate Builders Scheme se propose d’introduire à l’intérieur de la composition musicale les concepts d’architecture et de design. C’est dire si, l’élaboration des morceaux, le découpage du son (le sound-design, à proprement parler) se dotent d’une dimension massive, tellurique, comme si le son, les beats avaient à charge de mouvoir de gros blocs de bétons avant de bouger les corps. Hybride entre hip hop, électronica, et urbanisme dancefloor,
The Considerate Builders Scheme est comme une collection de chutes sonores carrées,
Timbaland,
The Neptunes et
Modeselektor au chantier, casque sur la tête, MPC et laptop dans les mains, bulldozer et grues pas loin.
On est proche, sur certains morceaux, des titres de
Labland de
Modeselektor et
Pfadfinderei, album qui développait lui aussi un imaginaire émerveillé du chantier, de la grande ville en constant remodelage, du béton joyeux, du bitume dansant. Ici on a affaire à une variation sur
Earth, le morceau présenté dans le cadre de l’exposition
Dday, le Design aujourd’hui, présentée au Centre Pompidou, avec ces mêmes chutes de pierres métaphoriques en guise de beat (
Down Nine), là, le découpage constructiviste et géométrisant des samples de guitare rappellent ce que l’électronica pouvait fournir de meilleur, ces quelques dernières années, quand elle s’ouvrait à l’électricité et à un esprit d’avant-garde issu du rock et du jazz (
Busted).
Evidemment, l’idée de design et d’architecture vaut comme imaginaire autant que comme prétexte ludique à ramener la musique à un pur jeu de construction et de déconstruction, manifestation et recherche de l’ordre intrinsèque de la musique, avant de la ramener au désordre, entreprise abstraite qui vise à manifester l’énergie démiurgique et souveraine du musicien face au son autant que sa capacité à s’abandonner à sa puissance sismique, à saper ce qu’il a patiemment édifié quelque secondes auparavant. Construire et abattre sans remords : voilà le secret de la légèreté de cette musique, où l’existence et l’écriture soudain semblent ne plus compter devant la joie enfantine d’assembler et désosser. N’était ce systématisme qui organise l’intégralité du disque sur des démarches et schémas récurrents (mais c’est l’esprit de géométrie qui l’exige, aussi) et en entame un peu la force de vie et l’humanité, on tiendrait là un disque quasi parfait qui reste, en tous cas, un essai électronique original et enthousiasmant.
Chroniqué par
Mathias
le 13/02/2006