Attention, trésor en provenance du passé. Cette réédition augmentée de titres bienvenus de
Just Another Diamond Day, premier album de
Vashti Bunyan publié en 1970, s’apprécie avec le plaisir que provoquent les objets rares, comme si l’on dénichait un bon vin dans une cave poussiéreuse ou un live pirate des
Doors à leurs débuts ou que sais-je encore : bref, quelque chose qui provoque l’excitation de qui porte en lui des tendances fétichistes fan-boy. Autant donc le dire tout de suite, car l’anonymat relatif dans lequel est injustement restée
Vashti Bunyan interdit quelque peu d’avoir conscience de la chose immédiatement.
Mais qu’à cela ne tienne, le mal (l’anonymat) sera bientôt réparé, grâce à ce disque qui s’apprécie et s’écoute doublement : d’une part comme un excellent disque de folk, émouvant, racé, d’une élégance que ne renieraient pas nos meilleurs folkeurs contemporains et passés, bien produit qui plus est, d’autre part comme une sorte de document à valeur historique, quelque chose qui éclaire, dans un détour par le passé, ce qu’est la musique actuelle de
Vashti Bunyan. Et bizarrement, c’est cet intérêt annexe, secondaire, qui confère le plus de beauté à ce disque.
Ce disque, c’est bel et bien le portrait oublié du folk des années 70, un monde désormais perdu qui n’a plus de réalité que dans quelques galettes de cire ou sur des morceaux de pellicules (on verrait bien certains de ces morceaux accompagner le Badlands de Terence Malick), sa version cachée, bootleg, à côté de la version plus prestigieuse et mieux connue dessinée par
Neil Young,
Bob Dylan et consorts. Il y a comme ici une magie de la réédition, qui vient assurément (c’est même le cœur de ce disque, sa poésie) de cet anonymat passé de la chanteuse : tout d’un coup il semble que se révèle à nous un pan entier et précieux du folk, quelque chose qu’on a oublié comme un trésor sur une île déserte, ou dans un sous-bois d’une petite bourgade américaine et qu’on reviendra chercher des années plus tard.
Ecouter ce disque en ayant toujours son âge en tête, comme une machine à remonter le temps, et se retrouver isolé dans une bulle éphémère et fragile (c’est aussi l’effet que procure son récent album
Lookaftering, chroniqué dans nos colonnes), coupée du monde contemporain mais qui ramène avec une infinie douceur tout le monde d’il y a trente ans, dans une sorte de flottement onirique, dans le flou de la diversité des instruments (hautbois, flûtes, banjos, guitares, pianos, glockenspiel, etc…), manière de dessin flou à l’aquarelle, invitation à un abandon serein, à une parfaite quiétude. Quand Vashti reprend un air de comptine (
Lily Pond), elle formule en somme tout son projet de musicienne : l’invitation à l’oubli, à l’assoupissement, au détachement. D’où sûrement la curieuse et inattendue mélancolie joyeuse (joie en demi-teinte pourtant, qui appelle toujours son envers de tristesse et de nonchalance) qui irrigue ce disque, comme une certitude intime de la compositrice que ce détachement, ce sommeil silencieux, est la seule posture possible à tenir face au monde. A l’univers troublé de 1970, il n’est pas dit que ce disque, à sa manière, n’a pas été une réponse politique en porte-à-faux avec l’idéologie hippie : la certitude que, désormais, l’on sort d’un monde où l’action n’est pas la sœur du rêve. Avec, comme planche de salut, la musique.
Chroniqué par
Mathias
le 13/11/2005