Premier album solo pour
Róisín Murphy, chanteuse du groupe
Moloko. De
Moloko, on aura retenu une poignée d’albums, oscillant entre une pop racée (l’envoûtant
The time is now) et des virages electro allant du dérapage jouissif (
Fun for me) au tube estampillé dancefloor (le remix house ultra-FMisé de
Sing it back). Qu’attendre alors de cette première livraison émancipée ? Est-ce synonyme de la fin du groupe et d’un nouveau départ (comme Stephan Malkmus après la mort de
Pavement), un passage obligé pour une crédibilité nouvelle (comme Damon Albarn de
Blur et ses
Gorillaz) ou une parenthèse mimétique qui transformerait cet essai en un
Moloko bis? On serait en droit de poser ces différentes questions, si l’album n’était pas co-signé de la patte de
Matthew Herbert, petit prodige de l’electronique, bien connu des amateurs.
Le duo
Murphy-
Herbert accouche avec ce
Ruby Blue d’une petite merveille, jouant avec habilité des diverses gammes de leur palette musicale, de l’electro au jazz, en passant par la pop. Cet album ressemble ainsi à un heureux mix des travaux de chacun : les meilleurs moments de
Moloko (dans leur capacité à créer LA chanson pop sur le fil, entre mainstream et exigences) et certaines des plus belles virées d'
Herbert (entre les textures sonores de
Bodily Functions et les mélodies à forte tendance « standards » du
Goodbye Swingtime de son
Matthew Herbert Big Band). Leurs univers se rencontrent, pour donner naissance à un genre hybride, où tous les coups sont permis, mais qui n’oublie jamais de charmer l’auditeur.
Le dansant
Leaving the city ouvre l’album, s’envolant par-dessus une nappe synthétique à outrance, laissant deviner les sonorités jazz d’une trompette à l’arrière-plan. Swing léger pour la seconde piste,
Sinking feeling, entre contre-temps de la section cuivre et claquements de doigts, sur lesquels se greffent quelques samples malin qui surélèvent le tout. Suit
Night of the dancing flame et son cortège déglingué, où instruments et ordinateurs s’acoquinent dans une cacophonie étrange, qui n’est pas sans rappeler certaines ambiances de
Tom Waits. On pourrait continuer ainsi à dresser le portrait de la tracklist complète de l’album sans s’en lasser véritablement, à chercher constamment de nouveaux adjectifs pour faire naître la description, tant cet opus impressionne par sa variété et sa vivacité. Parler d’electro-jazz serait encore trop réducteur, aux vues des diverses directions qui s’enchevêtrent. Citons encore simplement le formidable
Ramalama (bang bang), tube potentiel, construit autour d’une rythmique martiale et de la voix triturée en tout sens de
Róisín Murphy, dansant, sautillant, qui donne furieusement envie de s’encanailler. Ou enfin le superbe
The closing of the doors, duo pour voix et piano, mâtiné de quelques sonorités cuivrées, parfait en arrière-plan d’un bar enfumé aux vieux fauteuils en cuir (rien à voir avec le design high-tech et insipide d’un café lounge, bien sûr).
Avec ce
Ruby Blue,
Róisín Murphy réussit à merveille son passage en solo, épaulée par un fantastique
Matthew Herbert, et transforme l’essai que
Moloko semblait incapable de réaliser tout à fait : un album érudit, dansant, complexe et exigent. Une galette parfaite pour danser tout l’été et qu’on réécoutera avec bonheur l’hiver venu, dans le confort de son intérieur, sensible encore à son infinie richesse musicale.
Chroniqué par
Christophe
le 02/07/2005