La surprise est de taille. Après les déceptions et autres silences prolongés,
Aceylone,
Mikah 9 et
Abstract Rude reprennent du service pour inonder nos oreilles de nouveaux haïkus, ces versets monosyllabiques sans aucune contrainte formelle, tant au niveau de la ponctuation que de la rime. Un véritable
Coup de Théâtre qui donne une suite tardive et inattendue au premier album de
Haiku D’Etat, récemment réédité par Decon.
Fidèles à la formule qui avait fait le succès du groupe, les trois rappeurs annoncent la couleur dès les premières mesures de l’introduction, murmurant ce « jazz, poetry and soul » sur un beat feutré et orné de discrets scratches. Pourtant, on note une certaine rupture avec le passé, notamment dans le refus de s’appuyer sur une base instrumentale live. La production en devient plus minimale, et tout de même plus inégale. On retrouve avec plaisir les nombreuses compositions laid back et jazzy de l’incontournable
Fat Jack, dont les samples superposés de clavier font des merveilles sur
Transitions And Eras, sans pourtant atteindre la subtilité de
Built 2 Last et surtout de
Mike, Aaron & Eddie, titre phare de ce
Coup de Théâtre. Nouvel invité de marque
Chief Xcel délivre une production tout juste honorable avec les cuivres de
Top Qualified, alors que les titres signés
Mikah 9 tombent rapidement dans l’anecdotique, allant jusqu’à reprendre le sample de
Bitch Please 2 d’
Eminem sur
Poetry Takeover.
Volontairement en retrait, la partie instrumentale de
Coup de Théâtre, n’est en fait qu’un prétexte pour donner vie aux multiples digressions vocales de
Aceylone,
Mikah 9 et
Abstract Rude qui, une fois de plus, délivrent une copie quasi-parfaite. Illustration et coup de maître dès les prémisses du disques avec l’incroyable
Mike, Aaron And Eddie, où la polyphonie vocale et la complémentarité des trois rappeurs atteignent des sommets. La suite de l’album ne déçoit pas, et reste dans cette lignée dadaïste version
Project Blowed. La voix feutrée de
Mikah 9 aka
The Jazz caresse ainsi le beat aérien de
All Good Things, alors que le flow technique de
Aceylone dompte allègrement le beat plus carré de
Dogs et que
Abstract Rude déroule son phrasé destructuré pour sauver la production répétitive de
Stoic Response. Last but not least, les trois acolytes possèdent un carnet d’adresses des plus alléchants, et n’hésitent pas à s’en servir.
Busdriver pose ainsi un couplet à deux-cent à l’heure sur le clavier de
Transitions And Eras alors que
Gift Of Gab,
Lateef et
Lyrics Born explosent littéralement le beat de
Top Qualified,
Gab en tête.
Au final, si ce
Coup de Théâtre s’inscrit dans un format relativement classique, il parvient à se démarquer grâce à une maîtrise lyricale et un flow d’exception. Jonglant avec les métaphores,
Aceylone,
Mikah 9 et
Abstract Rude se fixent également des thématiques de compositions suffisamment strictes pour éviter le piège de l’exercice de style gratuit. La production de
Fat Jack permet quant à elle d’apprécier l’album dans un pur esprit de détente, porté par les claviers et autres sons de flûte de
Built 2 Last ou
All Good Things. Enfin, le packaging contient un DVD retraçant les performances scéniques et le quotidien de
Haiku D’Etat, sessions chill à l’appui. Autant de bonnes raisons de prêter une oreille attentive à cet album, qui renoue allègrement avec les meilleures preformances des légendaires
Freestyle Fellowships.
Chroniqué par
David Lamon
le 18/12/2004