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Dossier

: Chanson émasculée



À propos de Modeselektor - Dancing Box feat. TTC

La musique émascule le texte.
C’est net, clair, ça coupe net, tout le temps. La musique prend des morceaux de voix inopportuns non destinés à l’enregistrement, parce que c’est comme ça : la musique se fout des textes, au sens propre, la musique est une connerie, elle déconne à pleins tubes, elle fait des tubes de textes la plupart du temps ridicules. Parfois même, il arrive que les textes n’existent même pas pour ce qu’ils sont et qu’ils ne soient que des morceaux à découper.


La musique émascule le texte, elle en fait ce qu’elle en veut, les textes sont des objets, des objets de moins que du désir, des objets de rien du tout, des objets faits de rien du tout, si ce n’est de coupures qu’on leur impose de force. La musique impose des relations de force au texte, des rapports non désirés, des rapports contre-nature, même : ce que tu dis, je m’en fous, je ne t’écoute pas, je n’écoute que ma musique, dans ta voix, je n’entends que ce que sera ma musique, ce que sera ma musique faite sur les morceaux que je découpe de ta voix dont je me fous.



Esthétique du vidéo-clip, absence de plan fixe, découpage, bien pire qu’un montage, un démontage dans les règles d’un art que l’on ignorait jusqu’alors et que son auteur ignore lui-même, c’est à craindre.


C’est ça qu’est Dancing Box feat. TTC : le moment d’une bonne idée. Grande et forte : le découpage de la voix.


On peut découper des tas de choses ou de non-choses, des plans, des lignes mélodiques, des structures, mais des voix, ça non ! La voix, ça ne se découpe pas, ça se respecte. C’est du sacré. On se focalise sur les paroles, on les apprend par cœur, on les chante en chœur(s). C’est connu : c’est toute l’histoire de la pop. C’est l’histoire de la musique depuis 50 ans.






Mais, Modeselektor, avec Dancing Box feat. TTC, il se la joue Derrida. Mais, pas le Derrida prolétarisé de la déconstruction, du grand lecteur ou je ne sais trop quoi (alors que Derrida n’a jamais su lire, mais seulement écrire, précisément). Modeselektor se la joue Derrida de la voix, de son privilège.


Modeselektor, là, il nous la fait comme Derrida, il nous raconte que la voix, c’est simplement une chose comme une autre, qu’on peut en faire plein de choses justement, à condition de ne pas y croire comme on croit en quelque chose de sacré. Il n’y a pas de privilège des paroles, de la voix, de la parole.


Désacraliser la voix — c’est ça, c’est faire voler en éclats de voix, une voix qui est sensée se poser sur un support comme la musique. Simplement non : la musique n’est pas un support. La musique s’en fout du texte et de la voix qui le dit. La voix qui dit le texte, ça peut bien vouloir dire quelque chose, mais ça peut aussi très bien ne rien vouloir dire du tout. Quand tu es face à cette espèce de dilemme, alors ou bien tu crois que ça veut dire quelque chose ou bien tu te dis que tu t’en fous et que ça n’a pas d’importance, que ce qui importe, c’est ce que tu veux en faire, toi, de cette voix qui dit ce texte ou bien un autre, quelque chose ou bien n’importe quoi.


Modeselektor, lui, il a fait son choix. Peut-être que personne ne l’avait fait avant lui. Il nous a dit, sans voix, en la faisant voler en morceaux :


« La voix, moi, je m’en fous. Je déconne à plein tubes avec elle, je la découpe en petits morceaux que je rapproche, que je colle les uns aux autres. Il y a un beat, tu imagines qu’il y a même une espèce de mélodie qui sous-tend le tout. Mais, en fait, la mélodie, c’est la voix découpée. Le refrain, c’est la voix découpée. Ce qui t’accroche normalement, c’est ce que tu imagines que le mec ou la fille qui chante te dit à toi. Mais, là, on s’en fout. Ce qui t’accroche vraiment, c’est ce que fait le type qui ne chante pas avec la voix du type qui chante. Il l’éclate et ça t’éclate.
C’est ça qui compte, ce minutieux découpage, ce foutage en l’air de la ligne de la voix pour produire une ligne mélodique avec ce matériau brut qu’est la voix. »


La voix, ce n’est pas sensé être un matériau brut, c’est sensé être quelque chose qui nous tient en respect ou alors qui nous débecte : tu aimes ou tu n’aimes pas la voix. Là, que tu aimes ou que tu n’aimes pas la voix, c’est du pareil au même, il se passe quelque chose : ce n’est pas la voix qui compte, c’est ce qui se passe avec la voix.

par Jérôme Orsoni
le 19/11/2006

Tags : Dossier

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