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Post-Rock

: Édition 2006



Notre compte rendu

ACTE I - 23 juin

Si les mots sont les plus impropres à figer un ressenti de manière fidèle, c'est pourtant par les mots qu'on peut espérer fixer dans les mémoires quelque chose auquel tout le monde n'a pas pu assister. Au delà des circonvolutions d'orientations qu'on prête à la musique, et des clivages qu'on fait entre musique axée sur le ressenti brut et musique " cérébrale ", et des distinctions arbitraires qu'on en déduit pour dire ce qui est musique d'avenir ou pas, assister à un festival de " post-rock " de cinq concerts par soir, pendant deux jours, permet de bien tourner et retourner toutes ces étiquettes, pour en sortir au final avec une sorte de sentiment troublé de chaos d'inspirations et de tentatives et de recherches, et en même temps emprunt d'un certain espoir : la forêt de la création musicale se creuse comme une taupinière de chemins variés, et divergents, labyrinthiques… mais pas moins tous parcourables, puisque de toutes manières de notre point de vue cette forêt est tout bonnement infinie.

Nous voici engagés dans le premier acte de cette danse théâtrale où chaque groupe tente d'emmener après lui tous les esprits, sans vraiment savoir s'il y arrive, en vertu de la légendaire impassibilité apparente du public de musique " post-rock ". Ce soir, tout commence avec la fébrilité de l'audace qui va enfin rendre des comptes. Les acteurs sont au taquet, c'est bien, ça correspond bien à l'histoire que je veux raconter… Et tout commence par un coup de théâtre… Petite présentation de My little Tsunami, premier groupe, formation classique, guitare, basse, batterie : " Nous faisons presque du post-rock ". Et chacun pourrait en dire autant. Virtuosité et humour se côtoient, les baguettes armées de grelots, déployant sa colère sur la technique, à guitares colériques ; My little Tsunami se termine avec une pluie de batterie, à trois dessus… Eh oui, si ce festival portait pour vous l'espoir de définir ce qu'est le post-rock, c'est raté. Il faudrait quasiment interdire cette entreprise, et rester dans la description humble de ce travail brut de recherche qu'on nous livre là, avec audace et candeur, comme pour dire que la musique n'est jamais tant " post-quelque chose " que quand elle rentre dans le mouvement même du jeu entre les genres, et qu'elle refuse à chaque morceau la place qu'on lui assigne.

C'est ce que les Clochards Célestes, conviés à ce premier soir (ils ont raté le match pour vous hein), pourraient montrer. Une formation ni free-jazz, ni ethnique, ni rien du tout, mais qui crée un monde. Qui fait circuler l'esprit dans un monde d'images et de rêves complètement aléatoires, et pourtant d'une densité presque effrayante, au premier abord je veux dire. Où sommes-nous donc menés ? Vers une musique qui n'est pas là pour faire la tapisserie de cette salle du 19è arrondissement, mais au contraire qui est là pour faire exploser par son invisible et ineffable présence toutes les limites intérieures et extérieures, pour exacerber l'attention, la vraie. C'est peut-être ce qui explique ce calme et ce flegme tellement courant chez les auditeurs de post-rock. Soudain prostrés dans cette attention dont nous perdons si facilement l'habitude, nous sommes comme à l'intérieur de la musique, à l'intérieur d'une grande étendue qui est là pour chacun d'entre nous, et qui pourtant transpire une évanescence troublante. Les Clochards ne ressemblent à personne. Taillant avec assurance les branchages de l'épaisse forêt inconnue de la création, leurs incantations nous invitent à les suivre, même si on se doute bien que ce qu'il y a derrière ce sombre inconnu de l'avant-garde n'est connu de personne, ni d'eux, ni de nous. Et pourtant…

On ne s'en tient pas là. La lourde énergie de Sons of Frida invite à tourner la mémoire vers cette atmosphère mitigée et tourmentée portée par le premier groupe… Ici, quelque chose de plus urgent encore ressort, dans l'océan de recherche sonore, où plonge la puissance du " rock ", et où la voix rétablit son empire pour mieux le remettre en cause, par des jeux phonétiques qui en font un instrument et demandent un autre rapport à elle. Je crois qu'il est inutile de s'amuser à classifier les influences respectives et les orientations " de genre " de chaque groupe. Ce qui se joue ici, c'est la capacité à s'abstraire de tout genre, à faire preuve de cette modestie, c'est-à-dire cet art de plaire, en donnant place à ce qu'on fait effectivement, c'est à dire la musique en train de se jouer, sans plus de fioritures.

La Diagonale du Fou, ou la filiation exacerbée au rock, et même au hard-rock, de cet univers, vient projeter à la figure un océan de transitions et d'imprévisibilité, qui allie l'intérêt mélodique du métal à cet esprit de recherche, d'amplification spatiale du son de manière à en faire un monde où on veuille s'installer, en plein milieu… Et non pas une tapisserie dont on oublierait bien vite les motifs, en la noyant dans les circonvolutions de tout ce qui fait que la musique qui se vend est la plus cadavérique, puisqu'on ne l'écoute pas vraiment. Ce qui clôt le premier acte, c'est une débauche de poésie calme, organique, hypnotisante, invitant un Banjo sur le nuage de HitchcokGoHome, et cet archet, espèce de ver à soie des nuits post-rock, galvaudé ailleurs, et pourtant si apprécié ici…Un harmonieux désapprentissage, explosant d'énergie tourmentante, et pourtant si entière. Peut être que c'est la particularité de cette recherche, donner un grain tellement tangible à la musique que sa présence en devienne déstabilisante, parce que attirant trop l'attention.

La nuit est avancée, nos mécènes, parisiens dans l'âme, viennent s'insurger contre le rappel, il est trop tard, il est temps d'attendre ce qui se prépare le jour suivant…
Rendez-vous pris.


ACTE II - 24 juin

Deuxième jour de ce festival organisé au millimètre, bravo SoFarSoGood pour la témérité, celle de réunir en deux jours un bon gros morceau de la scène qu'on appelle (par effet de mode ?) " post-rock ". Samedi soir, plus de monde encore, et la Belgique s'invite à l'espace B, nous livrer un sentiment un peu mitigé de fêter ici les pères du post-rock, on sent comme hier l'ombre de Explosions In The Sky et de Godspeed… Mais à ce compte-là, on se demande parfois sur quoi tient la particularité et la stabilité de l'unicité de chacun des groupes qui se présentent…

Lovely Girls Are Blind semblait ici effectivement dédier son incantation tourmentée à Explosions in The Sky… Déjà par la disposition des musiciens : le bassiste au milieu, et deux guitaristes sur les cotés… L'ambiance est peut-être plus ténébreuse, les guitares plus acerbes, le tout avec une force climatique par laquelle on peut définir le " pur " post-rock, qui semble exclure le chant comme une composante trop " classique " au rock. Malgré cet abandon des images d'Epinal, il semble parfois que le post-rock retombe dans une fixité et un excès de référence aux fondateurs. Cette musique est organique, atmosphérique, bref, en un sens, on pourrait ne rien en dire, puisqu'elle atteste une sorte de respectueuse continuation, un peu vide, de ce qu'on a déjà fondé… Ou peut-être n'est-ce que le coté épuré, surtout dans la force d'évocation, de la recherche qui caractérise ce style. C'est à ce moment-là qu'on peut repenser à l'unicité, pourtant en harmonie avec ce style " post-rock ", que savait si bien transmettre les Stéréogrammes. Et il faut reconnaître qu'ils manquent à ce festival, comme une pierre d'angle à cet édifice.

ohyear apparaît alors, et entraîne avec les six membres de ce groupe l'étonnement du public qui, soudain, reconnaît entendre quelque chose d'effectivement " autre ". Deux guitaristes, deux personnes armés d'ordinateurs et de samplers, scratchs en tout genre, un bassiste au jeu enthousiaste, et un batteur dont le charisme en terme de présentation ne peut même pas s'encenser en mots. Le post-rock ne peut pas se restreindre, il se prête à toutes le configurations et inspirations possibles. On remarque chez ohyear une sorte de vigueur dans l'originalité qui tranche avec le sérieux et le tourment rigoureux des très présentes guitares des autres groupes. Chacun des membres de ce groupe touche à tous les styles en offrant un accès à l'auditeur par leur manière de jouer avec le son. En effet, ils paraissent très engagés dans ce qu'ils font, pendant qu'ils jouent, et l'esprit insouciant transpire sur leurs compositions qui sont pourtant très pénétrantes, et même parfois violentes. C'est l'auto-dérision qui joue en leur faveur, alliant virtuosité et humour, parce qu'elle engage le spectateur à une attention enjouée envers l'original et l'inédit.

Rome Buyce Night porte aussi cette candeur amusée, par l'enthousiasme du batteur qui fait danser ses épaules sur les toms. Le passage incessant de tonalité majeure à mineure capte un intérêt sans cesse renouvelé, faisant naître la tension de l'attente dans les départs très atmosphériques. Ce trio engage dans son jeu une ambiance prenante, tourmentée et autonome dans ses inspirations. En tant que musique qui remet en cause sans cesse ses résultats, le post-rock semble ici se mouler au mouvement vital, et c'est par là qu'on peut s'approprier l'ambiance qu'il dégage, presque sans effort, tellement facilement que cela en devient parfois inquiétant. La musique s'insinue, invisible et éminemment active, jusqu'à se réfléchir avec notre respiration, à tel point qu'elle se fond parfois en nous comme si elle émanait de nous.

Le groupe belge Pillow rompt cette inquiétante osmose entre le corps et la musique qui s'impose sans effort à lui, pour présenter une distance, et un travail des sons d'une rigueur bien plus marquée, parce qu'elle est emprunte d'une sorte de volonté d'effacement des interprètes au profit de cette recherche même ; c'est pourquoi les compositions de ce groupe abondent en répétitions. Ayant en mémoire ohyear, on observe ici une sorte de retrait, qui donne moins d'hésitations à fermer les yeux à l'écoute. Cependant, on regrette par moments la prévisibilité des transitions.

L'explosion sonore de Steels, ultime acteur de ce festival, dont le public fut malheureusement quelque peu élagué par les horaires du métro, projette le post-rock dans une intensité impressionnante, et réhabilite la voix au sein de sa progression. Avec une certaine réminiscence de Pink Floyd, ce groupe projette une musique extrêmement spatialisée, envoûtante et agressive, entière et paroxystique ; les yeux fermés du batteur paraissent une sorte d'effigie de l'ambiance qu'ils envoient sans ménagement. L'intensité est maîtrisée, car axée sur une entêtante répétition de riffs âpres… Sur " Métamorphose ", se met en scène une impressionnante alternance entre l'ambiance évanescente et l'intensité criante, ce qui rend la musique presque tangible… La musique se ressent encore plus comme les battements du cœur, les cris apparaissent comme si on les avait soi-même poussés. Les montées en puissance, bien que prévisibles, semblent envelopper entièrement l'auditeur, et ce de manière irrépressible.

La musique d'avant-garde me semble sortir d'une grande et ancienne bâtisse de briques, aux vitres brisées, devancée d'écriteaux " chantier interdit au public ". C'est une sorte d'audace à faire s'exprimer SA musique dans des lieux au départ peu accueillants. Ces lieux, en l'occurrence, seraient ici nos oreilles, et le coefficient d'ouverture d'esprit de nos cerveaux à des ondes qui ont parcouru les influences en empruntant les chemins les plus escarpés et difficiles d'accès pour leur donner une place dans la vitalité de l'artiste qui ose créer.


par Lou
le 30/06/2006

Tags : | Post-Rock

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1 commentaire

par guigui (le 28/10/2006)
Festival génial, 10 groupes talentueux pour esquisser le genre post-rock. Ca s'est terminé un peu tard, mais étant parisien ça ne m'a pas dérangé. Vivement l'année prochaine, et merci so far so good.
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