Ce 9 octobre, c’est
Detachments qui ouvre la soirée à la
Cigale. Si le groupe a d’abord un peu de mal à captiver l’attention du public, il ne s’en sort pas si mal sur la longueur de son set. Venu d’outre-manche, il pratique un rock type cold wave, entre
Human League et
Joy Division. Inégal, le groupe semble capable du moins bon, mais aussi de très bonnes choses lorsque, le mimétisme aidant, il retrouve quelque chose de la grâce de
Joy Division. Beaucoup de synthés un peu cheesy qui ne sont pas du meilleur effet, mais aussi, une section rythmique excellente qui devrait – on l’espère – sauver le groupe et lui insuffler l’énergie qui lui fait un peu défaut pour le moment. Affaire à suivre !
Venons-en à
!!!. C’est un point de vue qui pourra sembler étrange, mais pour moi,
!!! a toujours correspondu à la définition historique d’une avant-garde : une force motrice qui avance collectivement et dans les conflits – que ce soit des conflits internes ou des conflits avec l’état du monde extérieur et le décor idéologique d’époque –, qui a vocation à le transformer et qui trouve dans tout cela une dimension politique.
A sa manière particulière,
!!! réunit une musique furieusement hédoniste, conçue pour faire danser, des compositions complexes et savantes fondées sur des jam sessions hypnotiques (qu’on retrouve en live) et des textes parfois stupidement absurdes (
Must Be the Moon), parfois violemment politiques, que ce soit par des invectives directes (on se souvient du tube increvable qu’est
Me and Giuliani down by the School Yard (A True Story)) ou par toute une batterie d’allusions à l’histoire contemporaine telle qu’elle tourne sur elle-même (les deux mandats de W. Bush, brocardé sur
All My Heroes Are Weirdos, l’Irak et le terrorisme global, la relève Obama) – et enrage (
AM/FM et
Steady As The Sidewalk Cracks en donnent métaphoriquement une belle image). Ce qui fait, depuis les années 2000, l’intelligence supérieure de
!!!, ce qui leur permet d'être bien davantage qu'un revival dance-punk, c’est précisément de prendre la question collective, politique sous l’angle du plaisir de la fête, le plus à même de réunir les forces vives et d’exalter les énergies en vue d’un change de l’histoire – quand bien même il resterait aveugle, informulé, impensé. Au milieu de tout ce qui s'invente de passionnant en ce moment du côté de NYC, Brooklyn et Williamsburg,
!!! est un coeur qui pulse vite et fort autour duquel gravite une constellation (ouverte sur le Canada, l'Europe -
Strange Weather, Isn't It? a été enregistré à Berlin) dont la vitalité est réjouissante.
Tout cela resterait un peu abscons si ça ne se vérifiait pas, justement, en concert. D’un côté,
Steve Reich,
Animal Collective,
Can et tout son héritage no wave et électronique, de
Rhys Chatham à
LCD Soundsystem et les franges contemporaines du noise, de
Parts & Labor à
Sarah Lipstate et
Gang Gang Dance. De l’autre, la folie scénique des
Who et un délire hédoniste entre
Parliament et
Chrome Hoof.
Le line-up a bien changé depuis les départs de
John Pugh,
Tyler Pope et
Justin Van der Volgen, et le décès du batteur
Jerry Fuchs, dont le jeu merveilleux donnait sa signature à la musique de
!!!. Le groupe est donc restreint sur scène : six membres contre neuf en 2007 au
Trabendo. Moins d’instruments, donc (notamment,
Mario Andreoni est seul à la guitare depuis le départ de
Tyler Pope) : on pouvait craindre un son moins complexe, moins propice à l’improvisation. Il n’en est rien : le groupe gagne en densité, en cohésion et si on regrette la glorieuse fanfare des débuts, cette nouvelle formule a aussi de quoi séduire. Le concert s’ouvre donc sur
AM/FM et très vite,
Nic Offer retrouve ses marques de frontman azimuté. Il entame son petit pas de danse préféré, presque devenu un gimmick depuis qu’on fréquente leurs concerts, et c’est parti pour un set dense et sans temps mort. Ca ne fait pas deux minutes que le set a commencé qu’il se jette dans la foule pour faire le zouave, chercher le contact de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un homme ou une femme, pendant que ses compères improvisent.
All My Heroes Are Weirdos, joué dans la foulée, met le feu aux poudres, puis le groupe égraine
Jamie, My Intentions Are Bass,
Steady As The Sidewalk Cracks,
Hammer,
Pardon My Freedom et
Me and Giuliani,
A New Name, les surpuissants
Must Be the Moon et
Heart of Hearts, et un
Intensify toujours aussi beau et cathartique en rappel. Le tout dans un équilibre parfaitement heureux entre moments d’ouverture improvisée, roue libre scénique et bains de foule de
Nic Offer et
Shannon Funchess, apports funky du sax d’
Allan Wilson et de la trompette de
Dan Gorman.
A mesure que le set se déploie, la chaleur et la tension montent, les pogos s’enchaînent et – c’est un signe de l’énergie que ce groupe mobilise – les tensions éclatent. Deux types manquent de se battre pour une baguette que
Paul Quattrone a envoyé dans la foule, ma voisine de fosse en vient presque aux mains avec un type du premier rang qui lui reproche ses pogos.
Andreoni se blesse au pouce en manipulant une corde de sa guitare et barbouille son instrument avec son propre sang. Tous les teufeurs sous substance se donnent le mot pour que la fosse ressemble à un grand moment d’hystérie collective. On repense aux bastons sauvages du concert des
Stones à
Altamont pendant
Street Fighting Man et on se dit que si le rock’n’roll en 2010 pousse à nouveau le public à ce genre d’excès, c’est qu’il a encore des choses à dire et qu’il peut encore foutre le bordel. Ca danse, ça saigne, ça transpire ; c'est sauvage, noisy, remuant, excessif, fou et vivant comme peu de concerts savent l’être. Ce set restera donc comme un grand moment de communion collective et euphorique, et prouve à nouveau que la suprématie scénique de
!!! est sans rival sérieux.