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Le Syndicat Faction Vivante

: Interview avec Ruelgo



Sculpture sonore en mouvement, Le Syndicat Faction Vivante repousse les limites d’un concept bruitiste instinctif, en puisant autant dans une forme d’improvisation maîtrisée que dans une création interactive en direct. Voici notre interview...

Artisan du bruit depuis plus de 35 ans avec Le Syndicat, Ruelgo a toujours défriché avec passion des territoires sonores extrêmes, entre expérimentations radicales, électro noise rythmique et bruitisme lyrique. Sculpture sonore en mouvement, Le Syndicat Faction Vivante repousse encore les limites d’un concept bruitiste instinctif, en puisant autant dans une forme d’improvisation maîtrisée que dans une création interactive en direct.

Tu définis LSFV comme un projet d’inspiration bruitiste dont le mode opératoire est l’interaction en direct entre les opérateurs. Peux-tu nous expliquer la genèse de cette nouvelle faction live du Syndicat et qui en sont les membres ?

Au départ de cette nouvelle équipe du Syndicat, il y a eu en août 2014 une invitation en résidence de Saphi du projet Nocturne, dont le but était d’échanger sur nos pratiques sonores. Cette rencontre s'est très vite transformée en une collaboration intensive et, dans le même temps, il y a eu une proposition de concert du Syndicat à Lille. Deux mois plus tard, Saphi s'est ainsi joint à moi pour cette performance et nous avons pu constater que nous nous sentions en public dans des dispositions identiques à celles rencontrées en résidence.

Il faut prendre en compte que tout ce qu'a produit le Syndicat jusqu'à la fin des années 80, c'est à dire les premiers albums cassette qui depuis ont été réédités maintes fois, a été enregistré d'une traite. Il s'agissait de court-circuiter le fil de la pensée et les concepts sociaux-culturels existants, en utilisant l’énergie sonore de façon à ce qu'elle ne laisse aucune prise à l’analyse de ce qui était fait ou pourrait l'être. Nous étions déterminés à découvrir un nouveau mode d'expression utilisant la force du son et de l'instinct, et non les concepts et règles propres au langage musical. Ce que nous avons décidé de pratiquer avec LSFV poursuit cette même idée tout en utilisant une technologie de production de son différente. Pour ma part, des machines et interfaces dédiées à la musique électronique qui permettent une transformation instinctive du signal audio. Pour Saphi, une pratique de bending (action qui consiste à court-circuiter de façon volontaire des machines originellement dédiées à la production de son) qui rappelle l'outillage des débuts du Syndicat et les « bruiteurs » de Entre Vifs.

La maîtrise de ces outils demande un entraînement conséquent pour que nous réussissions à transmettre ensemble ce que nous n'imaginons pas préalablement, mais que nous voulons créer en direct. Formellement, nous produisons une suite de gestes rapides qui engendrent des naissances et des morts successives de sons abstraits en direct.

La variété des manipulations en concert et la surprise sonore sont les piliers de LSFV mais comment procédez-vous lors des enregistrements studio ?

Les morceaux de LSFV sont des extraits « bruts » de nos sessions. Ils sont pour moi comme une photographie sonore d'un flux qui continue en dehors. Comme pour la photographie, on peut considérer qu'extraire consciemment une partie d'enregistrement est déjà un acte de fabrication de quelque chose d'autre. Le flux du son est associé pour moi au flux de la vie. Ce que l'on crée ou ce que l'on a créé dans LSFV se révèle à nous toujours plus tard, lorsqu'on est dans d'autres dispositions que la fabrication. C'est cette distance et en même temps le souci de respecter l'archive qui me permet de sélectionner un passage d'une de nos sessions plutôt qu'un autre. Un « morceau » de LSFV est donc un « morceau » dans le sens littéral du mot et non pas une pièce ou une œuvre qui découlerait d'un acte de création réfléchi et organisé, comme l'est la composition d'un morceau de musique.

Votre premier disque est sorti en début d'année chez Aussaat, le nouveau label de Willi Stasch (ex-Cthulhu Records). Comment cela s'est-il organisé ? Tous les titres de l’album viennent-ils d’une seule de vos sessions d’enregistrements ?

Au départ, j'ai conçu ce disque pour avoir un premier objet « promotionnel » de ce que nous faisions avec Saphi, un album qui pouvait nous aider à trouver plus de concerts. Je connais Willi Stasch depuis plus de 30 ans. Il avait pris en charge le label cassette du Syndicat lorsque nous avions arrêté le mail art à la fin des années 80. Nous sommes toujours restés en contact épistolaire depuis lors. Willi a monté ce nouveau label avec l'aide de Zorïn de Entre Vifs et a édité la cassette Kohle+Stahl, puis il a réédité la cassette Mars qui est en fait la toute première réalisation de Entre Vifs (en 1984, cette cassette a été éditée sous le nom Le Syndicat mais il s'agit bien de Entre Vifs). Comme le mode d'action de LSFV et celui de Entre Vifs sont proches et également proches de la première démarche du Syndicat, quand je me suis mis à chercher un label après avoir terminé ce premier album, je l'ai naturellement proposé à Aussaat.

Morceaux De Choix est composé d'extraits de nos trois premières sessions, dont la première session de dix jours en résidence chez Saphi fait partie. Nos sessions sont en fait autant de résidences déclenchées par des projets de concerts et sont composées de plusieurs jours d’entraînement intensif. Nous réécoutons ces archives comme si nous n'en étions pas forcément les auteurs. Nous ne savons véritablement jamais à quoi ressemblent ces sessions avant d'enclencher plus tard la touche « play ». Il faut que ce que nous avons enregistré produise chez nous un nouvel effet de surprise à retardement. Ensuite vient le processus de choix et l’enchaînement des extraits. Si je veux faire un « long play » comme un album, l'enchaînement de ces archives prend un autre temps ou la durée des silences ou parfois leur absence est alors extrêmement importante pour que ce matériel puisse avoir une nouvelle existence.

Dans vos compositions, il y a des sons percussifs voire quelques rythmes très courts et épars mais - exceptée la rythmique hystérique du morceau Eargasm - rien qui rappelle l’utilisation des rythmes telle qu’on la trouve au sein du Syndicat. De plus, je n’ai pas décelé la présence de voix sur les morceaux de l’album, mais en live Saphi incorpore des bribes de phrases ou des mots, manipulés en direct. Ces percussions électroniques manuelles et ces éléments vocaux occasionnels font resurgir l’humain dans l’abstraction globale de vos morceaux et me paraissent agir comme un rappel qu’il y a bel et bien des opérateurs derrières vos sculptures bruitistes. Est-ce intentionnel ou le fruit du hasard de votre pratique sonore ?

C'est le choix des morceaux de l'album qui fait que, dans celui-là, il y a peu de voix audible ou tout au moins prononçant des mots. Nos voix passent à travers des machines et des effets commandables en temps réel, ce qui les rend parfois peu reconnaissables. Cependant, ce n'est jamais un hasard lorsqu'il y a de la voix quelque part. Cela demande un minimum de technique de son pour qu'un micro puisse être utilisé à un moment ou à un autre et qu'il puisse passer par telle machine ou tel effet. C'est donc un choix de mise en place délibéré d’utiliser un micro lorsqu'on le souhaite et comment on le souhaite. Un micro est pour nous un instrument comme un autre et je n'ai jamais joué en public sans avoir la possibilité d'utiliser la voix.

Cependant, il n'y a aucune présence humaine lorsqu'on écoute un disque. Celui qui a joué, l'interprète, la source, n'est pas là. On peut se faire toutes sortes d'histoires sur ce qu'on est en train d'écouter par l'intermédiaire d'un enregistrement et de ce que l'on en sait, mais physiquement, il n'y a personne caché à l'intérieur. L'image mentale de la musique n'est que ce que nous y mettons et elle est différente pour chacun de nous. Comme pour les images en couverture des livres, il y a toujours plus dans le livre et notre imaginaire que ce que l'image de couverture nous montre. Ce qui est important, c'est ce qu'on vit autour de cette écoute-là, qui plus tard reviendra lorsqu'on réécoutera ces sons. La musique nous hante comme un retour de trip de ce qui s'est passé autour de cette musique lors de sa découverte, ce que l'on en sait, notre culture... Quant à notre présence, elle n'existe en effet vraiment que lorsqu'on joue en public. Le but de l'opération étant pour nous qu'elle soit alors inévitable.

Dans LSFV, nous mettons un point d'honneur à ce que nos machines ne jouent pas à notre place, ce qui exclut tout son préprogrammé comme par exemple les rythmes que je compose parfois, et qui existent dans certains disques du Syndicat. Cette position est également opposée à ce que je faisais avec Le Syndicat MMX, où je pouvais lancer ces rythmes à transformer et déstructurer en direct. S’il y a des rythmes ou des boucles dans LSFV, c'est que je les ai joués à ce moment-là. J'ai toujours mal compris quel était le genre de plaisir que pouvaient éprouver certains musiciens de musique électronique à faire tourner leurs morceaux sur leurs instruments comme des DJs. D'ailleurs je n'ai jamais bien compris non plus quel était le plaisir de répéter indéfiniment des morceaux de musique pour les rejouer le plus impeccablement possible en public. Nous ne sommes pas des interprètes mais voulons découvrir, y compris à notre insu, quelque chose qui n'a jamais existé auparavant. Nous voulons être surpris nous-mêmes en même temps que le public, de cette chose qui n'a pas encore d'existence avant qu'elle ne surgisse de nos machines.

Peut-être que notre son peut paraître abstrait, non humain ou futuriste lorsqu'on l'écoute enregistré, parce qu'il y a des machines et des sons abstraits qu'on ne peut pas identifier. Mais c’est pourtant bien nos actions qui découvrent ces sons et rien n'en sort lorsque nous ne sommes pas là pour les manipuler.

Dans l’édition spéciale de l’album est inclus un DVD avec deux de vos performances et surtout six clips, basés sur des extraits de films, des surimpressions et des répétitions de différents éléments graphiques. Certains des motifs sont en rythme avec les sons et paraissent réalisés à l’aide d'un logiciel qui réagirait à la source sonore, est-ce le cas ? Peux-tu nous préciser comment tu as élaboré ces créations visuelles dont le rendu global est souvent très hypnotique ?

Que ce soit Saphi avec sa formation Nocturne ou moi-même dans mon travail « professionnel » à l'image, nous composons énormément de musique. À un moment donné, je me suis dit qu'il pouvait être intéressant de composer avec des images pour du son, c'est à dire de faire le contraire de ce que je fais dans mon travail. Au lieu de composer des musiques et des sons synchrones pour des images qui sont déjà montées, je me suis mis à manipuler des images pour notre son qui lui, n'est pas fixé ou construit comme peut l'être la musique. En premier lieu, ce que fait une visualisation graphique du son : un oscilloscope, un vumètre, un phase scope, etc. Ces repères de ce qui se passe dans le signal me suffisent déjà et sont souvent en effet redoutablement hypnotiques. Ma démarche de base est donc de faire jouer nos enregistrements dans un visualiseur de forme d'onde et d'archiver ces images afin de pouvoir plus tard en sélectionner des passages au montage. Cela devient comme un jeu graphique à partir du moment où j'ai suffisamment de sources. Ce n'est donc pas un travail de vjaying car c'est une accumulation dans le temps, un peu comme lorsqu'on compose un morceau de musique, cela peut devenir infini si on le veut. Ce qui m'intéresse, c'est de soumettre des images à un son totalement abstrait en contradiction avec la démarche de composer de la musique ou des sons pour des images qui ne sont pas abstraites.

La civilisation occidentale est devenue une civilisation visuelle et nous continuons de perdre une partie de notre oralité en même temps que pas mal de comportements sociaux. Dans mon cas, manipuler des images vidéo est un processus beaucoup plus complexe que la manipulation des formes sonores et, même au bout de plusieurs semaines de travail sur une vidéo, je ne la trouve jamais suffisamment abstraite pour avoir la force évocatrice du son en mouvement. Alors ces vidéos retournent à leur fonction de simples divertissements oculaires pendant que le son, lui, me semble toujours raconter des milliers d'autres choses.

Le visuel du disque a été réalisé par Zorïn, qui avait déjà conçu l’intégralité de l’imagerie de ton label cassette au début des années 80 (également nommé Le Syndicat), en mêlant influence constructiviste et imagerie militaire. Peux-tu nous relater l’histoire de cette collaboration de longue date ?

J'ai rencontré Zorïn en 1983, j'avais alors 18 ans. Il était un peu plus âgé et avait donc une meilleure culture que moi, notamment d'artistes ou de mouvements en marge. Zorïn a été un peu comme un mentor pour moi. Il avait collaboré et joué dans le court métrage Le Bunker de la Dernière Rafale de Caro et Jeunet, qui était un des films cultes des adolescents fondateurs du Syndicat que nous étions. Sans lui, le label du Syndicat n'aurait pas existé sous cette forme qui s'est mise à ressembler à une production industrielle au fur et à mesure de la sortie des 22 albums cassette. Très clairement, en parallèle de nos options sonores radicales, c'est aussi l'aspect graphique soigné de nos cassettes qui a contribué à un certain succès du groupe. Ensuite, lorsque Le Syndicat s'est plus tourné vers la composition et la musique à la fin des années 80, Zorïn a créé Entre Vifs et a fait perdurer les principes de base de notre bruitisme empirique et instinctif, qui sont aujourd'hui encore ceux de LSFV.

Comment différencierais-tu l’approche live du Syndicat ou de Entre Vifs autrefois, de celle de ton précédent projet live Le Syndicat MMX, puis maintenant de LSFV.

La différence entre LSFV et Entre Vifs est principalement l'instrumentation. On pourrait dire que les « bruiteurs » de Entre Vifs sont « électromécaniques ». Ils utilisent des micros contact pour capter des transformations mécaniques d'objets par percussions ou frottements, en plus de matériel électronique.

Les instruments de Saphi sont « raw electric ». Ses « noisers » produisent des sons électriques bruts et non pas électroniques. Ils ne fonctionnent pas comme des synthétiseurs avec des oscillateurs pleinement contrôlables.

Quant à moi, mes outils seraient plutôt « audio-préhensibles ». Je n’utilise pas du tout de sons électroniques mais uniquement des sources audio que je fabrique à partir de mes archives. Ces sources audio sont préhensibles car j’utilise des interfaces qui me permettent de transformer, intervertir et découper ces sources audio très rapidement. Ces interfaces dédiées à la musique électronique me permettent aussi d'agencer ces sources dans un ordre plus ou moins aléatoire pour que je ne sache pas toujours quel son va surgir de mon équipement.

Hormis les différentes instrumentations et la forme de style qui en résultent, la façon de pratiquer de Entre Vifs et LSFV est très proche. C'est à dire la réactivité rapide des opérateurs entre eux, le refus d'établir des schémas de progression ou de reproduire des choses déjà essayées, et l'absence d'éléments répétitifs préenregistrés sur lesquels s'appuyer. Il y a aussi chez ces deux formations, cette part de perte de contrôle due à la multiplication des sources et des actions à produire que nous appelions le « pilotage réflexe » dans les années 80.

Par contre, la production sonore du Syndicat MMX (pour 2010) me semble plus proche de la musique. Il y a des progressions, des passages rythmiques. On peut extraire de ce trio des morceaux de musique qui paraissent composés et élaborés. La démarche du Syndicat MMX serait donc plutôt celle d'une musique improvisée qui utilise de nombreuses sources sonores avec le souci de les harmoniser.

Entre Vifs et LSFV procèdent quant à eux d'une démarche que je qualifierais de « purement bruitiste ». Il n'y a chez nous, au départ de chaque session ou concert, qu'une nouvelle page blanche à écrire avec des machines et des sons qu'on ne peut pas toujours totalement contrôler. La démarche est sans filet et aussi sans contrainte.

La frontière entre musique industrielle et noise est bien plus poreuse que par le passé. Le Syndicat reste néanmoins affilié à la scène industrielle française originelle mais, actuellement, te sens-tu appartenir à une scène en particulier ?

Au fil du temps, j'ai rencontré d'autres musiciens également affiliés à la scène « industrielle », « noise » ou « expérimentale», qui sont des gens que j'aime personnellement retrouver. Au début des années 80, nous n'étions pas beaucoup, en France, à vouloir s'investir dans une démarche aussi radicale. Pour nous tous je crois, nous ne faisions pas la même musique, elle était surtout à inventer. A l'époque, nous étions peu nombreux et plus isolés, les moyens de nous rencontrer ou d'échanger comme le tape trading et le mail art étaient plus lents qu'internet, ce qui avait des avantages et pas seulement des inconvénients. On faisait beaucoup moins de disques et de concerts que maintenant. Je ne crois pas en une « scène industrielle française ». Tout simplement parce que toute scène ou mouvement n'existe vraiment qu'a posteriori, lorsqu'il y a recherche de reconnaissance historique.

Encore aujourd'hui, je ne retrouve pas dans beaucoup d'autres musiques vivantes ou improvisées, ce fonctionnements particulier quant à la production sonore intensive en direct. La différence entre le « bruitisme » et la composition musicale ou l'improvisation, est d'ailleurs la raison qui m'a poussé à différencier LSFV du Syndicat tout court. Il y a ce que l'on compose et ce que l'on joue en direct. Le « bruitisme » et la « musique » restent pour moi deux processus créatifs différents. Une musique qui utilise aussi des bruits n'est pas pour moi plus « bruitiste » qu'une autre. Il ne s'agit pas du tout du même mode opératoire que d'introduire des bruits dans de la musique ou que de sculpter dans une matière sonore en direct. C'est en effet difficile à comprendre de nos jours où tout son ou bruit peut devenir musical, car c'est la démarche qui est différente. Le bruitisme n'est pas non plus pour moi quelque chose de conceptuel ou de mental comme l'est le « harsh noise wall ». Notre démarche est très simple et en prise directe avec le réel, la matérialité physique du chaos et pourquoi pas la nature, ce n'est pas quelque chose qui tient de la représentation ou du spectacle.

Nous sommes tous liés à une impermanence des causes et des effets. La brièveté de ce qui survient et disparaît sans cesse est réelle. L'existence de la vie est elle-même liée à une multitude de hasards et de rencontres chimiques dans une temporalité en dehors de notre compréhension.

Quel a été ton parcours depuis tes débuts dans le mail art et le tape trading ? Je sais que tu as toujours été intermittent du spectacle mais comment ton activité musicale personnelle interagit-elle avec tes activités sonores professionnelles ?

Comme d'autres artistes qui ont commencé au début des années 80, j'ai en effet pratiqué le mail art et le tape trading pour faire connaître Le Syndicat et son label cassette. C'était la seule solution hors des circuits commerciaux pour faire la promotion de sa musique à cette époque. Par la suite, à partir de la fin des années 80, il y a aussi eu des disques du Syndicat que j'ai fait en solo ou avec des collaborateurs épisodiques pour certains morceaux.

Le Syndicat a été créé comme un collectif. La disparition de l'auteur et l'anonymat des participants était notre idée de base. Cela ouvre énormément de portes, la possibilité de créer des choses très différentes avec différentes personnes et différents médias. Je reste persuadé que l’œuvre dépasse son auteur. Nous changeons, tout change, tout survient, se transforme, peut disparaître et peut réapparaître sous d'autres formes.

Quant à mon parcours personnel depuis la fin des années 80, après avoir été permanent des EPE (les Établissements Phonographiques de l’Est, disquaire et petite salle de concerts à Paris, dédiée aux musiques divergentes) entre 1987 et 1989, j'ai fait une formation de technicien du son et je suis intermittent du spectacle depuis cette époque. Dans les années 90, j'ai créé des bandes son pour le spectacle et j'ai commencé à faire des sons à l'image. Bruiteur, monteur son ou musicien, cela a toujours eu des limites très floues pour moi car les bruits peuvent s'accorder comme on accorde un instrument. Je continue de créer des bandes son synchrones et des musiques à l'image et j'ai développé au fil du temps, un certain « savoir-faire » pour illustrer le mouvement avec des sons. J’ai été monteur son et mixeur pour des documentaires radiophoniques qu'on dit de « création », j'ai aussi travaillé la partie sonore d'œuvres d'art contemporaines et je suis toujours régisseur son pour le spectacle vivant.

Ce que je vais créer comme musique ou sons dans mon travail est interdépendant du support pour lequel cela est fait. Cela ne peut pas, pour moi, avoir une existence propre, séparée de son support. Il y a donc une césure entre ce que je peux créer pour d'autres médias et les formes radicales de production sonore comme LSFV.

La dématérialisation des supports a permis d’augmenter la diffusion des musiques extrêmes en tout genre mais, depuis quelques années, en renaissant de ses cendres, le médium cassette ramène au premier plan l’intérêt pour l’objet, le contenant. Avec le recul de ton historique quel est ton point de vue sur cet aspect ?

La dématérialisation, c'est aussi un peu comme si certaines des idées de la « musique industrielle » (disparition des auteurs, musique = art brut, brouillage des pistes, etc.) avaient perduré dans la « techno » des années 90, et avaient finalement triomphé techniquement. Que l'on trouve cela dommage ou que l'on ait connu qu'elle, les amateurs de musique ont aujourd'hui le moyen de vraiment bien connaître ce qu'ils écoutent lorsqu'ils sont curieux.

Le Syndicat a eu beaucoup de chance d'avoir été autant édité en dur et de continuer à l'être. Par contre, la pérennité de ces objets ou leur potentiel succès me concerne moins depuis que j'ai arrêté le label de cassettes fin 80, et aussi parce que je pense que tenir un label et faire de la promotion pour vendre des disques est un travail à temps plein. Pourtant, il est encore important pour moi de continuer de concevoir et trouver le moyen de faire éditer des disques. Finaliser une étape de musique par un objet concret permet de progresser en restant conscient de ce que l'on fait. Ces objets solides sont pour moi comme des bornes kilométriques qui me poussent à aller de l'avant. Heureusement pour les labels, il existe toujours cette forme de bon « fétichisme » qui nous fait entretenir une relation intime avec des objets de création.

Pour survivre, les éditeurs se sont remis à utiliser des supports analogiques parce qu'ils sont plus difficiles à dématérialiser, d’où le retour du vinyle et de la cassette. Je trouve que la production de vinyles est très importante en ce moment chez les indépendants par rapport aux années 80. L'industrie culturelle s'est-elle même remise à produire des vinyles et garnit aujourd'hui les rayons de supermarchés d'anthologies ineptes faites à partir des CDs qu'elle a déjà abondamment vendus lorsque c'était le support à la mode. Les labels indépendants qui eux, œuvrent avec moins de moyens pour faire connaître de nouveaux projets ou sortir des rééditions de choses rares, se retrouvent même en panne de machines à produire des vinyles au moment du « disquaire day »... Du coup, on comprend mieux l’intérêt de se remettre à sortir des cassettes pour diffuser des musiques difficiles. C'est un petit support facile à envoyer par la poste et qui reste aussi possible à produire de façon artisanale, en petits nombres de copies. La cassette a une longue histoire avec l'autoproduction et l'indépendance tout en restant un objet solide et illustré. C'était notre mode d'échange de musique libre dans les années 80 comme l'a été le mp3 dans les années 2000. Pourtant, aucun support ne reproduit le son comme le compact disc ou les lossless digital files, et je trouve dommage que le CD soit en voie de disparition pour des raisons qui ne sont finalement que mercantiles... Mais ce n'est pas le problème numéro un des musiciens qui, quant à eux, doivent prendre la route et jouer !

Interview par Cyril Adam.

Remerciements à Éric Duboys.

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Interview par Cyril Adam
le 15/09/2017

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