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Ad Noiseam

: Interview avec Ad Noiseam



Ad Noiseam fête ses 10 ans. Cet anniversaire marque le coup d'envoi d'une tournée de cinq dates durant lesquelles se produiront quelques uns des poulains du label. Pour les Parisiens la dream team fera une halte le 1er juin au Batofar. C'est donc l'occasion rêvée pour dMute de sceller un partenariat avec le label Allemand, mais aussi de revenir avec Nicolas Chevreux, son fondateur, sur cette décennie de musique électronique : ses hauts et ses bas, d'Aphex Twin à Flying Lotus, de l'IDM au dubstep en passant par les artistes d'Ad Noiseam et les perspectives du label.

Quelques mots sur ton parcours avant la fondation d’Ad Noiseam ?

Je suis né à la fin des années 70, ai perdu mes dents de laits sous Mitterrand, et ai commencé à être actif dans le milieu de la musique au milieu des années 90, avec une émission de radio hebdomadaire sur l'antenne grenobloise de Radio Campus. Cela a duré jusqu'à 1999, quand j'ai quitté la France, et ai remplacé cette émission par un webzine, Recycle Your Ears, qui a eu pas mal de succès en son temps, mais qui a été euthanasié en 2002, quand Ad Noiseam a commencé à prendre tout mon temps.

Peux-tu m’expliquer les circonstances dans lesquelles le label a été fondé ?

L'idée de créer un label est paradoxalement postérieure à la première sortie, le triple CD Krach Test. Cette compilation était tout d'abord pensée comme une petite extension de Recycle Your Ears, une facon de présenter autre chose que des mots et des opinions, mais vraiment quelque chose à écouter. Je m'étais fait pas mal d'amis avec le magazine, certains connus et certains débutants, et je voulais les réunir sur une petite compilation. Ce projet a très bien marché, j'ai bien aimé bosser là-dessus et, ayant reçu des démos de certains groupes concernés, j'ai sorti d'autres disques, et un label en bonne et dûe forme est né avec la première sortie après cette compilation, l'album Amidst A Spacious Fabric de Wilt.

Pourquoi "Ad Noiseam" ?

Je ne suis pas très bon pour trouver des noms, et c'est juste un jeu de mot avec l’expression latine "ad nauseam". Il ne faut pas y voir une signification particulière, mais je suis bien content, a posteriori, que ça place le label tout en haut des listes alphabétiques.

Quelles ont été les étapes marquantes du label ?

Un des premiers gros pas fait par Ad Noiseam a été la sortie de l'album Subfusc de Tarmvred (un groupe maintenant inactif), qui a rencontré un franc succès, a permis au label de faire ses deux premières tournées en Amérique du Nord, et a été suivi par la collaboration entre ce même Tarmvred, Needle Sharing et Panacea. Cela a été le premièr gros pavé dans la mare jeté par Ad Noiseam. Un autre a été les signatures consécutives sur le label de trois grosses pointures de la scène breakcore : Enduser, Bong-Ra et Drumcorps. La même chose s'est d'ailleurs passée un peu plus tard avec une salve de très bons artistes dubstep signant sur le label: Broken Note, Niveau Zero, Matta, Hecq et Karsten Pflum. Enfin, les cinq ans du label ont été également fêtés de façon assez jolie, avec la sortie d'une des très rares compilation du label, un double CD et DVD dont je suis assez fier et qui a été très bien reçu.

Comment as-tu vécu le passage de l’ère du disque à celui du MP3, et quelles ont été les conséquences pour le label ?

Tout d'abord, les sorties d'Ad Noiseam sont encore et toujours en format physique (vinyl, CD ou les deux), et je n'ai pas encore l'intention de sortir des choses qui ne seraient qu'en format digital. J'ai longtemps eu des doutes sur la façon à procéder pour proposer des mp3s de façon satisfaisante, ne voulant pas passer uniquement par les supermarchés du format (iTunes et Beatport). Cela a duré un certain temps avant que je puisse proposer ce format directement sur le site d'Ad Noiseam (comme je le faisais déjà pour les formats physiques) mais c'est le cas depuis la fin 2008, et on peut donc trouver des mp3s à la fois directement depuis le site du label, sur des plateformes indépendantes, ainsi que sur les plus grosses et plus connues. Bien qu'à terme, le mp3 remplace probablement d'une façon ou d'une autre les formats physiques, je n'ai plus la position négative à l'égard de ce format que j'avais il y a des années. Après tout, mon but est de répandre une musique que j'aime, et le format importe peu. S'il était nécessaire de faire des cassettes pour atteindre certaines personnes, je le ferai, et je vois le mp3 de la même façon. Personnellement, ce n'est pas mon format de prédilection, mais je ne suis pas dans la peau de tous les auditeurs du label.

Chacun a son petit avis sur le piratage. J’aimerais bien connaître le tiens. Comment vois-tu l’avenir de la filière du disque ?

A court et moyen terme, je pense que les choses vont plus ou moins en rester au niveau actuel. La crise économique de 2008 a été très douloureuse pour une industrie qui était déjà en perte de vitesse depuis certaines années, mais il s'agit également d'une filière dont la solidité et la capacité d'adaptation m'étonnent toujours. Donc bien que les choses deviennent toujours plus difficiles, nous allons continuer à avoir des labels, des magasins et des journaux pendant encore quelques années. Après cela, par contre, je vois les choses plus en noir. La combinaison de la "culture du gratuit" générée par la piraterie facile et de la fuite en avant constante des majors (à la solde de l'industrie du gadget électronique) vont accentuer le passage de la musique d'un art (et produit) en soit vers un produit dérivé d'accompagnement. Depuis les années 90, les majors ont fait passer la musique derrière le merchandising et le publishing. Bien que ce n'est pas ce qu'elles disent, les baisses de ventes de disques engendrées par la piraterie ne les ont pas autant gênées qu'elles n'ont nui aux petits label indépendants. Ces majors ont donc tout à gagner à travailler avec Apple, Google et les autres boîtes technologiques qui dé-monétisent la musique (vous achetez un iPod et recevez plus ou moins gratuitement l'accès à toute la musique que vous voulez) et ne promeuvent que les plus gros artistes. Dans ce procédé, les gens qui ont grandi avec Napster ou The Pirate Bay passe du "gratuit illégal" au "gratuit légal", et pensent que soutenir un artiste signifie acheter sa ligne de chaussures ou de t-shirts. Les vrais perdants sont les labels indépendants, les petits artistes, les gens dont la musique est au cœur de l'activité. Pour eux (donc "nous"), le futur risque de déchanter.

Quelles sont les activités d’Ad Noiseam autres que celle que nous connaissons tous : la production phonographique ?

Je gère également un magasin de disque "classique" nommé Dense, qui est un lieu de rendez-vous assez important de la scène électronique à Berlin et avec lequel nous organisons de façon régulière concerts et soirées. Mes activités avec ce magasin recoupent partie celles d'Ad Noiseam, mais Dense est actif dans un spectre musical bien plus large, allant du hip hop alternatif à la techno minimale.

La première moitié de la décennie a vu le mouvement breakcore exploser, un genre dans lequel Ad Noiseam s’est particulièrement investi. J’ai pourtant l’impression que le courant commence aujourd’hui à s’essouffler. Y’a-t-il un avenir pour le breakcore ?

Oui, mais pas tout de suite. Le breakcore tel qu'on le connait a connu ses heures de gloire au milieu de la décennie, avant de retomber dans le relatif oubli dans lequel il se trouve en ce moment. Cependant, ce genre de musique électronique baignant dans une attitude punk existait déjà avant que le nom de "breakcore" n'apparaisse, avec par exemple la scène digital hardcore des années 90. Elle-même est morte et, après quelques années de vide, est re-née sous appellation breakcore. Je pense que la même chose va de nouveau arriver. Dans quelques années, quelque chose de rapide, dur et fou va de nouveau avoir un peu de succès. Ça ne s’appellera probablement pas du breakcore, mais sera fait par les fils spirituels d'Enduser, Bong-Ra et Venetian Snares, eux-mêmes les descendants d'Atari Teenage Riot ou Aphex Twin.

Si je me tourne dix ans en arrière, Warp sort Drukqs d’Aphex Twin, Planet µ commence à se faire un nom. La scène IDM est en pleine effervescence. Depuis, certains labels sont morts (ou pas loin de l’être, comme Schematic), d’autres se sont ouverts à d’autres courants (Warp vers le rock, Planet µ vers le Grime). Et on entend régulièrement des gens proclamer la mort de l’IDM. Y’a-t’il une fuite générale de l’IDM ou ne faut-il y voir que de simples orientations propres aux labels ?

Il est arrivé à l'IDM la même chose qu'au breakcore, avec quelques années d'avance. Cette scène a quasiment disparu il y a cinq ans : les gros labels que tu as cités ne voulaient plus en entendre parler, seules de petites structures se brulaient les ailes avec ce style, et il était devenu particulièrement difficile de trouver des concerts pour ces artistes (en ajoutant à cela que beaucoup ne se produisaient jamais en concert). Cependant, depuis un ou deux ans, il y a un retour de la musique "intellectuelle" pas vraiment dansante. Pour moi, Flying Lotus et une bonne partie de la scène post-dubstep ne sont pas vraiment des choses orientées dancefloor et sont surtout faites par des geeks pour des geeks, comme l'était l'IDM à son époque. Un bon example de cela est la carrière de Machinedrum : il avait sorti à l'époque de bons albums d'IDM sur Merck, mais ce label a par la suite fermé ses portes, et plus personne n'entendait parler de ce projet. Depuis 6 mois, il s'est trouvé une nouvelle image, a sorti des disques sur Hotflush, Planet Mu et d'autres, et peut être de nouveau vu sur scène. Sa musique a un peu changé, mais c'est surtout le mouvement cyclique des modes qui est derrière ce retour de style et de groupes. Dans le même sens, Aphex Twin est assez malin de ne pas avoir fait parler de lui pendant les années maigres du genre de musique qui l'a fait exploser.

J’ai vu que t’avais produit l’année dernière un EP d’Hecq, un artiste étroitement lié à Hymen. Et qu’à l’inverse, certains artistes plus connotés Ad Noiseam, comme Enduser, ont été déjà été produits par Hymen. Y’aurait-il une concurrence entre Ad Noiseam et Ant-Zen [ndlr : maison mère d'Hymen] ? Quelle relation entretiens-tu avec tes "voisins" teutons ?

Nous nous complémentions. Hymen sortent des choses plus industrielles qu'Ad Noiseam, j'ai une sensibilité hip-hop et metal qu'ils n'ont pas, et nous touchons des publics en partie différents. Il serait absurde de parler de concurrence quand le gâteau pour lequel nous nous battrions est si petit.

Ad Noiseam a toujours occupé le versant "bourrin" de l’electronica. Je pense au Grindkrusher de Bong-Ra, à Drumcorps ou Igorrr. D’où te viens ce goût pour l’extrême ?

Ad Noiseam est, pour une raison ou une autre, connu pour les sorties "bourrines", comme tu le dis, même si j'ai sorti une grosse quantité de choses bien plus douces. Mais ce label est connu pour Drumcorps, alors que personne ne pense à Satanstornade quand on pense à Warp, ou au japanoise et Venetian Snares de Planet Mu. Je ne pense vraiment pas avoir un gout pour l'extrême, et ce n'est en tous les cas pas quelque chose de que je cultive. J'ai toujours été énervé par les deux extrêmes de la musique électronique : d'un côté les choses "utilitaristes", les morceaux dancefloors qui prennent leurs auditeurs pour des idiots (en gros, la techno, drum'n'bass ou dubstep "normaux") et, d'un autre côté, les choses très expérimentales et académiques qui se mordent souvent la queue et ont une attitude élitaire. J'essaye avec Ad Noiseam de sortir des choses qui soient faites à la fois pour le cerveau et pour le ventre, des albums qui ne sont ni stupides ni ennuyeuses. Il se trouve que le résultat est souvent dur, tout du moins pour les gens habitués à ces deux écueils. Mais ce n'est pas le but de la manœuvre.

Penses-tu que ce choix a payé ?

Bien entendu. Je n'aurais pas pu payer ma troisième Porsche si, au lieu de signer toutes ces grosses pointures du breakcore, j'avais misé mes billes sur ces catastrophes financières que sont David Guetta ou Justice.

On assiste aujourd’hui à une grosse déferlante dubstep. Tu as produit Broken Note, Matta, Niveau Zero : des artistes qui partagent de nombreuses similitudes. Faut-il y voir la volonté de créer un dubstep "à la" Ad Noiseam ?

Il ne s'agit pas forcément de "créer" ce style, il y a d'autres labels qui sortent des choses similaires. Mais il est vrai que mes goûts en matière de dubstep se concentrent souvent sur le côté le plus rugueux et cassé du genre. Il y a beaucoup d'autres groupes que j'aime bien dans ce style, mais le son des groupes que tu as cité est celui qui correspond le mieux à la fois avec les sorties précédentes d'Ad Noiseam, et avec les goûts du public du label.

Y’a-t-il une particularité au public allemand que tu ne retrouves pas ailleurs ? Est-il différent du public français ?

N'habitant plus en France depuis la fin des années 90 et n'étant dans l'hexagone que pour de gros évènements, j'ai du mal à savoir comment le public français a évolué ces dix dernières années. En parlant de façon très générale, je dirais que le public allemand est un petit peu plus âgé, un peu moins drogué, et un peu moins fêtard. Il y a également un fossé plus prononcé en Allemagne entre les gens qui vont à des soirées de musique électronique et ceux qui préfèrent les concerts de "vrais" groupes. Les Français ont l'air de mélanger les genres un petit peu plus, au moins pour les styles les moins connus. Mais, encore une fois, c'est assez difficile à dire pour moi.

L’indus, l’IDM, le breakcore sont des genres qui sont toujours restés confidentiels en France, contrairement au dubstep qui fait un véritable carton. Le dubstep est-il une chance pour Ad Noiseam de sortir la tête de l’underground ?

Il est clair que le label peut toucher plus de gens en étant underground dans une scène immense (le dubstep) qu'en l'étant dans des niches très restreintes. Cependant, le dubstep en général n'est pas de meilleure qualité que tout autre genre musical, et tout comme Ad Noiseam n'a jamais sorti de drum'n'bass commerciale ou de techno mainstream, je ne pense pas que le label ne publie à l'avenir de choses dubsteps grand public. Par contre, le succès du son dubstep permettra probablement à plus de gens de faire le pas et de s'ouvrir à des choses plus underground.

Quels sont les disques qui tournent en ce moment dans tes oreilles ? Quel est ton dernier coup de cœur ?

C'est un peu difficile à dire, car j'écoute vraiment énormément de choses, que ce soient des démos ou les nouvelles sorties que je vends dans le catalogue de VPC ou au magasin Dense. Ces derniers temps, j'ai bien aimé l'album de Sven Kacirek : The Kenya Sessions, le Aesthetica de Liturgy, et le Colin Stetson sur Constellation Records. En ce qui concerne les EPs, le 2methylBulbe1ol sur Komod.O Dragon, le dernier 12" de Kryptic Minds ou le dernier Starkey sur No Hoods No Hats sont pas mal du tout.

Une anecdote à nous faire partager ?

Merci de noter cette méthode facile pour différencier Enduser, King Cannibal et moi : Enduser a des tatouages bien visibles, j'ai un certain nombre de piercings, et King Cannibal n'a ni l'un ni l'autre. C'est arrivé plusieurs fois que des gens ne parvenaient pas à comprendre qui était qui dans cette bande de chauves à lunettes.

Des perspectives pour l’avenir ? Des projets, des envies particulières ?

Mon but à long terme est de racheter Sony et de relancer la production de leur chien robot. Je suis en chemin pour cela mais, auparavant, je compte mener à bien toutes les soirées d'anniversaires du label (5 ont lieu ces mois-ci, donc une à Paris le 1er Juin au Batofar, et d'autres suivent en Automne) ainsi que toutes les sorties qui sont prévues pour tout de suite (par King Cannibal, Hecate, Raoul Sinier et Wormskull). Je suis également en train de bosser sur une nouvelle compilation, qui devrait être une autre façon de marquer le coup des 10 ans du label, et qu'on pourrait voir comme une suite de la dernière compilation que j'ai sortie, en 2006, pour ses 5 ans.



Interview par Tehanor
le 10/05/2011

Tags : Ad Noiseam

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