Après Three (2020) et Travel (2023), deux albums constitués de pièces avoisinant les vingt minutes et auxquels on pourrait ajouter Body (2018) pour ses parties bien distinctes, The Necks revient à la forme qui les rend un peu à part dans le vaste univers des musiques instrumentales et nous offre une unique composition de 42 minutes s'étalant sur la totalité de l'album. Ténue et insaissable, cette nouvelle œuvre déconcerte à la première écoute, et aux suivantes également, mais c'est certainement cette impression qui rend le trio australien si grand, celle de les redécouvrir à chaque album alors que l'on pensait avoir compris leur "système".
On est d'abord déconcerté par ces éléments disparates semblant vouloir se mettre laborieusement en place, ce piano de Chris Abrahams jouant une gamme de notes perçantes assez limitées, puis cette respiration lointaine que l'on imagine être la sienne, puis ensuite cette guitare évasive en mode mineur tranchant avec le reste, puis encore ce dérèglement plongeant l'auditeur dans une atmosphère angoissante et hypnotique avant l'arrivée des percussions éparses de Tony Buck et de la basse vibrante de Lloyd Swanton. Et on pourrait continuer comme ça longtemps tant Bleed nous fait traverser lors de son périple des phases de doute, de questionnement, de perplexité même, avant de révéler une forme évidente de grâce lorsque les éléments du chaos s'alignent enfin. Bleed déroule d'ailleurs une trame évoquant parfois leur album Open (2013), autre longue odyssée musicale dans laquelle la plénitude d'un horizon radieux est sans cesse malmenée par les étranges bifurcations que prend la composition en cours de route.
Comme d'habitude, il s'agit chez The Necks de délaisser la technicité trop voyante des instruments pour se mettre complètement au service d'une ambiance globale exerçant un certain pouvoir de fascination et visant in fine une émotion singulière. En cela, Bleed réussit clairement sa mission et, dans son abstraction, pourrait presque s'apparenter à ces toiles de maîtres recherchant au crépuscule de leurs vies une forme d'épure, des oiseaux de Braque aux lignes noires de Miró en passant par les couleurs profondes de Rothko et les paysages de Nicolas de Staël. "Le vase donne une forme au vide, et la musique au silence." Je repense parfois à cette phrase de Georges Braque à l'écoute d'œuvre qui, comme ce Bleed, s'approche parfois trop près d'un gouffre musical constitué de notes qui ne seraient plus agencées entre elles, qui s'éparpilleraient dans l'espace et se dilueraient dans le temps sans n'être jamais soutenues par rien. The Necks tente ici de s'approcher de ce vide, mais c'est pour mieux nous happer.
Chroniqué par
Romain
le 22/10/2024
A lire également sur dMute : | |
|
Travel
(2023)
Northern Spy
jazz / Experimental |
|
|
Blog
Florilège musicopathe
#20 : Pause |
|
|
Body
(2018)
ReR
Post-rock / Krautrock |
|
|
Unfold
(2017)
Editions Mego
Jazz transcendental |
|
|
Blog
Top
Nos sélections 2015 |
|
|
Vertigo
(2015)
ReR
Post-jazz / Contemporain / Drone |
|
|
Open
(2013)
Fish of Milk
Jazz / Minimalisme |
|
|
Mindset
(2011)
ReR
Jazz / Musiques contemporaines |
|