Claire days

"Nous appellerons « émotion » une chute brusque de la conscience dans le magique." (Jean-Paul Sartre)

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La rencontre est d'abord visuelle. Un portrait mystérieux. Un visage coupé en deux, dévoilant sous son enveloppe le bout d'un autre visage, le même mais probablement un autre, celui de l'âme. Les présentations sont ainsi doublement faites : voici Claire days. Avec un "C" majuscule et un "d" minuscule, comme dans "Chef d'œuvre", soit ce vers quoi semble tranquillement mais sûrement s'acheminer le premier album de celle qui se cache derrière ce visage démasqué : Claire Moreau.

Depuis 2018, cette chanteuse guitariste et compositrice lyonnaise évolue seule ou accompagnée dans le domaine intimiste de la folk mais également dans celui plus étoffé de l'indie-pop. Quelques EP avaient déjà pu jalonner des premiers pas discographiques pleins de belles promesses : She Changed Her Mind, Lava ou encore le magnifique CREATURES qu'elle enregistra isolée dans un chalet en pleine nature à la manière d'Adrianne Lenker pour Songs & Instrumentals. L'occasion pour Claire de sortir de sa zone de confort et bousculer son propre procédé d'écriture puisque les trois chansons présentes sur ce mini-album se détournaient des structures habituelles de la chanson et s'aventuraient plutôt dans une sorte d'empilement de sensations et d'instrumentations dépeignant alors un territoire émotionnel aux reliefs fluctuants.

Suite logique de ce précédent chapitre et de cette nouvelle manière de composer, le bien nommé Emotional territory impressionne d'emblée avec The ground (ci-dessous), chanson d'ouverture à la progression mélodique admirable et aux arrangements somptueux, quelque part entre limpidité acoustique et textures plus granuleuses. Le reste de l'album sera à l'avenant et semble même s'enrichir chanson après chanson, écoute après écoute. Nourrie notamment par la musique de Feist, Laura Marling ou encore Andy Shauf, Claire days délivre ici une collection de chansons à tiroirs miraculeuses de justesse et dont le petit manège produit chez l'auditeur un envoûtement total.

Entre envolées gracieuses (Are we a team ?), plongées mélancoliques (le down tempo Nice ride) et instants d'apaisement (Benny) voire de somnambulisme (Fall asleep ci-dessous, tout en sinuosité), Emotional territory est également un territoire de contrastes regorgeant de bonnes surprises et dans lequel se mêlent une myriade d'humeurs changeantes et de sonorités éparses. Lumineux, crépusculaire, électrique, acoustique, symphonique (Claire you don't want to be saved), enlevé, pudique, abrupt, délicat.. L'album est tout ça à la fois et, dans ce subtil enchevêtrement, ne faiblit aucunement jusqu'à un très beau dernier tiers folk et plus dépouillé, évoquant parfois Adrianne Lenker (Watch me turn).

C'est ici l'aboutissement d'un long travail d'équilibriste partagé avec l'artiste anglais Fink, celui de savoir conjuguer d'une part la sobriété et l'intimisme folk des compositions au pluriel et d'autre part la densité de l'ensemble au singulier. Œuvre-monde des cheminements émotionnels, Emotional territory rappelle à sa manière l'album In The Afternoon des américains de L'Altra, c'est-à-dire une douce invitation à se perdre dans un labyrinthe émotionnel aux multiples déclinaisons, avec un "d" minuscule, mais qui sait à chaque seconde toucher en plein Cœur, avec un "C" majuscule.