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Tim Hecker

: Konoyo



sortie : 2018
label : Kranky
style : ambient / gagaku

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Tracklist :
1. This Life
2. In Death Valley
3. Is a Rose Petal of the Dying Crimson Light
4. Keyed Out
5. In Mother Earth Phase
6. A Sodium Codec Haze
7. Across to Anoyo

Tim Hecker fut l'un de ceux à m'avoir mis le pied à l'étrier des univers drone et ambient avec le beau An Imaginary Country en 2009. Bientôt dix ans que ça dure. Bientôt dix ans à arpenter des montagnes et des plaines sonores en solitaire, à traverser des déserts nocturnes sans lampe-torche et plonger dans des eaux plus ou moins marécageuses sans tuba. Bientôt dix ans à redécouvrir également la partie immergée d'un iceberg qui n'en finit pas de s'aggrandir. Je dois bien admettre que l'origine d'un tel choc esthétique personnel reste principalement l'incompréhension. Comment fonctionne cette musique pour le moins abstraite ? Comment exerce t-elle son pouvoir d'attraction ? De quoi est-elle constituée concrètement ? C'est peu dire que démarrer son initiation par Tim Hecker ne m'a pas forcément aidé à y voir clair.

Construits le plus souvent comme de grands amas sonores dans lesquels se téléscopent dans de violentes collisions une multitude d'éléments disparates, les albums du canadien sont d'une telle densité qu'il faut d'abord apprendre à les apprivoiser. Lors d'une des premières et rares interviews d'Autechre, un journaliste reprochait au duo britannique sa froideur mélodique, ses rythmiques déconstruites ou encore toutes les bizarreries parasitant leur musique. Les deux compères lui répondaient simplement que toute sa liste de reproches était justement ce qui les intéressait, ce qu'ils essayaient justement de creuser.

On pourrait en dire autant de la musique de Tim Hecker, de ses compositions décousues se découpant parfois en plusieurs actes, véritables agglomérats de forces lumineuses et obscures. L'artiste semble toujours créer une nature sauvage dont les herbes folles seraient les bienvenues, entre éruptions électriques et cascades électroniques tirant vers la kosmische. Son œuvre polymorphe subit également des mutations au gré de ses rencontres, accueillant parfois de nouvelles instrumentations participant à l'hybridation de sa musique comme cette chorale islandaise entendue sur le vaporeux Love Streams il y a deux ans. Avec Konoyo, Tim Hecker invite aujourd'hui dans son laboratoire expérimental un orchestre de Gagaku, et cette rencontre est aussi concluante qu'évidente.

Sur ce nouvel album, le compositeur va extirper le suc de cette musique traditionnelle japonaise remontant au Vème siècle pour revisiter sa musique. Il faut dire que le Gagaku est un genre se prêtant bien aux connexions que l'on pourrait tisser avec l'ambient cher à Tim Hecker. Comme l'ambient, le Gagaku étire souvent ses compositions sur la durée dans de lents mouvements hypnotiques et, à en voir les vertues immersives qu'il savait déjà projeter à l'époque, celui-ci pourrait être sérieusement considéré comme une sorte de prémisce ancestral au genre. Si Konoyo n'est pas consacré entièrement au Gagaku, on sent bien que ce dernier a su alimenter la boîte à idée du canadien qui livre là un joyau noir d'une belle inspiration.

Dès sa longue ouverture aux hurlements de loups à réveiller les morts, This Life (ci-dessous), le compositeur entre dans le vif du sujet et nous plonge dans un certain inconfort, un nouveau tumulte ultra sensoriel de sonorités dont on ressortira quelque peu chamboulé. Konoyo fonctionne moins par bribes que certains de ses prédécesseurs (Virgins) et nous offre des morceaux s'étalant plus sur la durée qu'auparavant, s'enchaînant parfois pour ne faire qu'un et semblant produire un flux incessant tantôt crispant tantôt magnifique, souvent les deux à la fois. On retrouve les crissements orchestraux typiques du Gagaku, broyés par la machine heckerienne. Plus tard ce seront ses percussions martelées et arythmiques qui s'infiltreront dans son capharnaüm électronique, notamment sur Keyed Out.

Konoyo est rempli de morceaux qui se perdent et nous perdent, entre un passé lointain (dans le temps et l'espace) et un avenir incertain. Les morceaux se débattent avec eux-mêmes et nous balancent leurs tempêtes de sons à la figure. Cependant ces compositions acquièrent un sens plus spirituel qui n'y paraît. Cette nouvelle œuvre de Tim Hecker tenterait peut-être de capter des mouvements d'un nouvel ordre, à savoir ceux du départ du monde des vivants ("Konoyo" en japonais) pour l'au-delà (le "Anoyo" d'Across to Anoyo, pièce de clôture). D'où ces morceaux qui s'évaporent souvent, "s'efface" ("keyed out" signifiant justement "effacé"). Métaphysique ou pas, ce Konoyo spectral et d'une noirceur palpable semble quoi qu'il en soit habité par des maux dont on ne saura rien et surtout par la volonté d'y échapper.



Chroniqué par Romain
le 28/09/2018

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