L'avantage avec les disques de producteurs, c'est qu'ils ne sont généralement pas conçus dans l'obsession de la réussite commerciale : le producteur qui se respecte prend le temps de composer quand bon lui semble, ce qui reste finalement le meilleur gage de qualité.
Du haut du panier deep-house, Moodymann sévit depuis vingt ans dans ce registre là. Il s'est récemment rappelé à nos bons souvenirs avec un mini-Lp - ABCD - assez percutant, dont ce Moodymann est le prolongement explosif. Le onzième, pour un gars dont la notoriété a encore du mal à franchir l'Atlantique et qui est devenu un cas à part. En atteste une fois de plus les vingt-sept plages de cette dernière mouture. Un disque où il se joue des paradoxes : minimal mais pas hardcore, oldschool mais souvent novateur, funky mais savant, joueur mais sérieux. Avec comme constante un sens du son suave et soulfull qui n'a rien à envier à des maîtres du genre tels Larry Heard, Ken Collier ou encore Mark "M. Jr" Richardson (qu'on ne s'étonne qu'à moitié de retrouver au générique de ce Lp fumant).
Mais si on peut reprocher au son du Lunatique de n'avoir que peu évolué, quelle joie de l'entendre renouer avec des titres addictifs comme ce parfait Lyk U Use 2 (associé à Andrés, un autre producteur qui récidivera d'ailleurs avec le sensuel Come 2 Me).
Moodymann fait feu de tout bois, enflammant ici de percus latinas, là de samples de blues et de slogans militants (une autre de ses facettes), des instrus toutes en strates et réarrangements obliques que lui seul sait faire vibrer de la sorte.
Alors, oui, on pourra regretter quelques longueurs notamment du fait de nombreux interludes - plus ou moins récents et à propos - enchassés entre les morceaux (et ce uniquement sur la version digitale) . Mais on se réjouira d'autant plus facilement au détour d'un sample de Richard Pryor de tomber sur un Radio, Actressien au possible, ou plus loin sur ce Got Dem Freaks Wit Me jumelant sans vergogne le Michigan à la Géorgie.
Sans exagérer, Moodymann synthétise là le meilleur de ce qu'offre Détroit en terme de house, deep à souhait, sans se gêner pour aller chatouiller le funk hallucinogène des ancêtres (on retouve les frangins Fiddler sur quelques titres et le Cosmic Slop du Funkadelic dérouillé en un Sloppy Cosmic démoniaque) ou la soul lubrique dont se teinte le rap d'Atlanta.
Un grand écart osé, dans tous les sens du terme, mais réussi entre "sa" vision de la Motor City Music, la folie sidérante d'un Parliament et la nonchalance vicelarde du hip-hop sudiste. Vous me direz, il suffisait d'ouvrir un brin les yeux pour comprendre tout ça. Ken Sakurai Karner ayant produit un artwork des plus explicites quant aux ambitions du bonhomme. Freeky Muthafucka !!!
Chroniqué par
Yvan
le 10/02/2014