Dans le domaine des musiques improvisées et expérimentales,
Another Timbre fait partie de ces rares labels qui ne proposent que des valeurs sûres à mon goût, aux côtés de
Potlatch et d’
Erstwhile. Tous les semestres quasiment, ce label anglais publie une série de quatre ou cinq disques pour la plupart excellents. Des disques d’improvisation libre instrumentale, électroacoustique, de composition minimaliste, d’abstractions sonores, avec une prédominance pour les nouveaux musiciens anglais (tels
Rhodri et
Angharad Davies,
Patrick Farmer,
Dominic Lash ou
John Butcher) et les compositeurs du collectif
Wandelweiser (voir sur
Another Timbre toujours, l’incroyable coffret de six disques dédié à la maison hollandaise). Dernièrement, c’est un duo surprenant qui est paru : un duo composé de
Vanessa Rossetto et
Lee Patterson, une Américaine et un Anglais qui ont composé ce disque sans se rencontrer, seulement à partir d’échanges de fichiers et d’enregistrements édités et assemblés entre 2010 et 2012.
Vanessa Rossetto est une jeune compositrice, altiste et peintre qui travaille plutôt en solo. Elle écrit principalement pour field-recordings, électronique et instrumentation de chambre (à noter qu’elle vient de sortir un vinyle excellent chez
Kye, d’ailleurs label de
Jason Lescalleet qui a masterisé ce disque). Quant à
Lee Patterson, il s’agit d’un musicien qui vit près de Manchester, dont la discographie est principalement chez
Another Timbre, et qui a participé à de nombreuses réalisations du collectif
Wandelweiser, mais également à de nombreuses formations de musique improvisée.
Patterson propose souvent une exploration de l’environnement sonore proche, notamment en utilisant l’amplification d’objets quotidiens.
Rien n’est indiqué sur le disque quant à l’instrumentation, mais il s’agit principalement d’électronique, d’objets amplifiés, et du violon alto de
Rossetto. Quatre compositions qui sont autant de paysages sonores différents, souvent proches du drone, mais des drones qui contiennent une foule de micro-détails. La première pièce est assez forte et puissante, une longue nappe continue et basse, une nappe sinusoïdale dense et massive sur laquelle se greffent des frottements et des grésillements métalliques, une nappe constante sur laquelle fourmille des couleurs abrasives inconstantes et irrégulières, des détails qui surgissent de la masse fondamentale et s’y noient avant même qu’on ne s’en aperçoive. Les deux pièces suivantes sont plus calmes et moins massives, les sons continus disparaissent au profit des détails et de l’ornementation seule. Deux pièces en-dehors des codes esthétiques habituels, qui ne sont ni instrumentales ni électroacoustiques, ni minimalistes ni réactives, qui semblent autant composées qu’improvisées. Deux pièces où s’entremêlent des field-recordings, des sinusoïdes, des drones, des instruments, des silences, des objets, sans qu’on ne puisse jamais vraiment déterminer qui fait quoi et comment. Le dernier morceau boucle très bien le disque en reprenant un peu l’ambiance du premier. Une pièce assez statique et massive avec un son continu et rauque à l’alto, agrémenté de nombreuses fréquences granuleuses à l’électronique. Plus lourd, fort, riche et intense, cette conclusion équilibre à merveille l’ensemble du disque.
Quatre pièces aux tempéraments différents, quatre plongées dans des territoires sonores uniques qui se renouvellent à chaque pièce. Oui,
Temperament As Waveform propose une suite de tableaux sonores et psychologiques comme on en entend rarement, des tableaux personnels, sensibles, et savamment construits. Une immersion dans le son et ses propriétés psychologiques vraiment surprenante et singulière en somme.
Chroniqué par
Julien Héraud
le 18/05/2013